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CAHIER N° 141

Claude Latta

Les hôpitaux militaires à Montbrison pendant la Grande Guerre : les blessés, les malades et la mort

Pour conclure

La guerre visible par tous
Les blessés représentaient, pour « l’arrière », la guerre visible par tous. Le monde des hôpitaux militaires fut au milieu de nos villes celui de la souffrance et de la mort des soldats. La guerre de 1914-1918 fut celle d’une « mort de masse » mais aussi celle d’une « violence de masse » et d’une souffrance collective et individuelle inimaginable : 13 000 blessés et malades passant dans les hôpitaux d’une seule petite ville comme Montbrison !
Après la guerre, les mutilés avec leur jambe artificielle ou leur manche de veste vide discrètement enfilée dans la poche, les paralysés ou les amputés des deux jambes en fauteuils roulants, les « gueules cassées », marquent dans l’espace public la souffrance de ces hommes qui ont passé beaucoup de temps dans les hôpitaux. Comment se réadapter à une vie normale et surmonter les difficultés du travail, les regards de compassion des femmes, la volonté de s’amuser des survivants dans les « années folles » ?
Le témoignage des poètes
Donnons le dernier mot aux poètes : le Montbrisonnais Jules Dupin, jeune poète plein de promesses, mort pour la France en 1915, a écrit dans son journal de guerre, après un bombardement d’artillerie : « Mon Dieu, ayez pitié ». La grande voix de Guillaume Apollinaire, blessé et trépané, lui fait écho lorsqu’il écrit brusquement à la fin de son dernier poème, La jolie rousse : « ayez pitié de moi ». Mot prémonitoire : mort le 9 novembre 1918, victime de la « grippe espagnole », il a été enterré le 13 novembre 1918, deux jours après l’armistice. Son cortège funèbre devait fendre la foule joyeuse qui fêtait encore la victoire.
Quant à Georges Duhamel, romancier mais aussi poète, engagé volontaire en 1914 bien qu’il fût réformé, médecin militaire pendant quatre ans, il a évoqué de façon poignante la douleur des mères dans sa Ballade de Florentin
Prunier. Le jeune soldat Florentin Prunier est grièvement blessé et soigné dans un hôpital. Sa mère est venue auprès de lui. Il « a résisté pendant vingt longs jours / Et sa mère était à côté de lui ».

La fin du poème ne s’oublie pas :
Or un matin, comme elle était bien lasse
de ses vingt nuits passées on ne sait où
Elle a laissé aller un peu sa tête
Elle a dormi un tout petit moment
Et Florentin Prunier est mort bien vite
Et sans bruit pour ne pas la réveiller.

Amère victoire
11 novembre 1918 : victoire ! La défaite, si elle avait été le terme de la guerre, eût, certes, été terrible. Mais cette victoire, célébrée dans le claquement des étendards vainqueurs, avait un goût de cendre. Amère victoire, payée de tant de sacrifices, de tant de jeunes vies interrompues, blessées ou brisées dont nous avons essayé de trouver la trace dans les archives et les monuments.

Claude LATTA

Sources et bibliographie
- Etat civil de Montbrison, registres de décès 1914-1919.
- Archives municipales de Montbrison [AMM], archives hospitalières [AH], 2 Q 21, 2 Q 27, 2 Q 72, 2 Q 287.
- Archives départementales de la Loire [ADL], 2 R 198 et 2 R 281.
- Service des archives hospitalières et médicales des armées [désormais SAHMA], Limoges, dossiers des hôpitaux militaires de Montbrison [HC, hôpital complémentaire, HA, hôpital auxiliaire] : HC 16, HC 17, HA 7 (M 2570 et M 2571) : registres d’admission et de sortie, dossiers individuels.
- Archives de la Diana : collections du Journal de Montbrison, 1914-1918
Bibliographie
- Boulanger (Philippe), « Les conscrits de 1914 : la contribution de la jeunesse française à la formation d'une armée de masse », Annales de démographie historique 1/2002 (n° 103), p. 11-34.
- Larcan, A. et Ferrandis, J. J., Le service de santé aux armées pendant la Première Guerre mondiale. Paris, LBM Éditions, 2008. (Voir La Revue du Praticien, juin 2011, p. 886).
- Olier (François) et Quénec’hdu (Jean-Luc), Hôpitaux militaires dans la guerre 1914-1918, répertoire général marques postales sanitaires, tome IV : France Sud-Est, Louviers (27), Ysec éditions, 2014.
Le département de la Corrèze a organisé une exposition sur les hôpitaux militaires et a publié un catalogue d’exposition :
- Berlière (Justine), Mendès (Julien) et Nicita (Jean-Marc), Hôpitaux et blessés de guerre 14-18. Du front vers la Corrèze [catalogue d’exposition], Tulle, Archives départementales de la Corrèze, 2014.
Une étude sur Brive est parue en 2014 :
- Brunet (Jérémy), Quand la Grande Guerre s’invite à Brive 1914-1917. Histoire de deux hôpitaux de l’arrière, Limoges, Pulim, 2014.
Exposition
La vie des soldats de Montbrison et du Forez a été évoquée à Montbrison par une belle exposition qui a eu lieu en novembre 2014 à l’Orangerie. Cette exposition a été préparée par les archives municipales (Régine Pinelli) avec la collaboration de Pascal Chambon, professeur d’histoire au lycée Saint-Paul-Forez, historien, conseiller scientifique de l’exposition.

Cette étude est issue d’une communication faite au Centre social de Montbrison le 12 avril 2014 pendant le colloque du printemps de l’Histoire 2014 organisé par Village de Forez sur la guerre de 1914-1918.

Mise en page : Pierre Drevet
Cahiers de Village de Forez - 2015