Couverture : Le Vizézy aux moulins des Massons, photo de l'auteur

CAHIER N° 138

Michelle Bouteille

Histoire du Vizézy et de ses moulins

1996 à l'occasion du festival d'histoire de Montbrison ayant pour sujet « l'évolution du paysage » nous avions, avec les élèves d'une classe de 4e, recensé environ 70 moulins sur le Vizézy depuis sa source à la Pierre Bazanne, jusqu'à Montbrison. Plus exactement à 4 km de la source car plus haut il n'y a rien à moudre.
Les dernières recherches effectuées en 2014 montrent qu’il faut y ajouter une dizaine de moulins situés à Montbrison même pendant l’Ancien Régime et quatre moulins en aval de Montbrison plus un « sceytol » c’est-à-dire un moulin-scie, très haut sur le béal comtal. Soit un total d’environ 85 moulins qui n’ont pas tous tourné en même temps. Compter les moulins reste une gageure. Surtout sur une très longue période. Un même bâtiment peut abriter plusieurs mécanismes, ailleurs les mêmes mécanismes auront été dispersés en diverses bâtisses. À la Guillanche le moulin Vaillant a fait vivre une famille sur deux activités mais un siècle plus tôt on trouve trois familles vivant sur trois moulins. Que dire aussi de ceux de Montbrison qui déménagent au gré de leur approvisionnement en énergie.

Le long du Vizézy, le paysage a effectivement bien changé puisqu'il y a eu environ un moulin tous les 250 m jusqu'à Montbrison, le fond de la vallée a été une véritable ruche. Au bourdonnement des moulins s'ajoutaient les va-et-vient sur les chemins des charrettes et des mules qui descendaient des hameaux.
Puis ces moulins ont disparu assez brusquement au regard de la longueur de leur existence.
Nous allons suivre l’histoire de ces moulins en commençant par aborder deux thèmes qui concernent toutes les époques. Le Vizézy est-il un cours d’eau exceptionnel en tant que rivière à moulins ? Et pourquoi y rencontre-t-on en majorité des moulins à roue horizontale souterraine ?
Le Vizézy est-il exceptionnel en tant que rivière à Moulins ?
Je ferai une réponse de Normande ! Oui et non.
Oui, parce que le Vizézy a eu un succès particulier dans ce département. La raison de ce succès réside dans la géographie et dans l'histoire des lieux.
Dans la géographie tout d'abord : le Vizézy dans sa haute vallée a une pente très forte puisqu'il passe de près 1 400 m à la Pierre Bazanne à 400 m à Montbrison ; soit 1 000 m de dénivelé. Cela lui donne naturellement un courant important qui permet de le qualifier de « torrent ». Il est donc naturellement riche d'énergie renouvelable. De plus il prend sa source dans une vaste tourbière, c'est-à-dire une zone humide d'altitude qui lui garantit une réserve d'eau dans les périodes sèches.
Enfin l'orientation de sa vallée d'ouest en est lui apporte un plus : les deux versants sont différents. L'adret, face au sud est un versant plus chaud, favorable à la culture, aux transports et à l'établissement de hameaux, l'ubac face au nord, plus froid, va rester plus ou moins boisé, mais le bois est lui-même une richesse à exploiter dans un moulin.
L'histoire a, elle aussi, fortement contribué au succès du Vizézy. La présence des hommes dans cette vallée est sans doute beaucoup plus ancienne que ce que nous pouvions imaginer. Hervé Cubizolle, qui est venu donner une conférence au Centre social de Montbrison il y a environ deux ans, nous apprend que des hommes de la fin de la préhistoire ont cultivé les hautes Chaumes à une période de climat plus chaud, après les dernières glaciations, il y a environ de 4 000 à 6 000 ans.
Nous ne savons presque rien de ces habitants, ils nous ont légué quelques mots, quelques pierres plus ou moins sacrées qui ont plus tard été christianisées et dont nous retrouvons les traces. Ils ne circulaient pas au fond de la vallée mais sur les rebords des versants de préférence orientés au sud, là où, plus tard, les Gallo-Romains traceront leurs chemins.
Nous connaissons davantage les Gaulois locaux qui sont des Ségusiaves, de l'autre côté du massif c'est le domaine des puissants Arvernes de Vercingétorix. C'est sans doute les Ségusiaves qui ont défriché les terres cultivables, qui ont aménagé les premiers chemins que nous appelons trop vite « voies romaines » comme celle qui monte de Montbrison à Courreau. Ils étaient en outre très bons agriculteurs et très bons techniciens. Ils sont là au moment de la naissance des moulins. Ont-ils pris part à leur développement sur les rivières locales ? Cela reste une question. Nous savons par contre, par l’archéologie, qu’ils exportaient des meules à moulins et du bois par les deux fleuves qu’ils contrôlaient : le Rhône et la Loire. Mais ces meules semblent être surtout des meules manuelles.
Nous n'avons guère plus de renseignements sur l'époque gallo-romaine. Les Monts du Forez que Jules César appelle Cévennes comme toute la bordure Est du Massif Central, sont un site stratégique car il est encore une frontière entre la Lyonnaise et l'Aquitaine, l'exploitation du bois y est restée intense. Les voies se multiplient ainsi que les villas, c'est à dire les grandes exploitations agricoles. La voie de Montbrison à Courreau comportait peut-être « une garde » de surveillance sur le pic de Fraisse avant même le château qui a donné le nom de Châtelneuf. Mais, pour l’instant, aucune découverte tangible ne nous permet de dire à quoi servait le Vizézy dans l’Antiquité romaine.
Plus tard, au Moyen âge, la chance du Vizézy viendra de l'installation des comtes de Forez à Montbrison, ce sont eux qui en feront une rivière à moulin, nous verrons comment dans un autre chapitre.
Non : Le Vizézy n’est pas un cas particulier. Avant la révolution industrielle, et même à ses débuts, toute l'Europe occidentale a développé ses technologies sur l'eau. Nous pouvons même affirmer que nous avons vécu une civilisation de l'eau et nous le vérifierons avec le Vizézy. Mais le Furan de Saint-Étienne a fait mieux et même beaucoup mieux ; laissons parler les chiffres ; dès la fin du XVIIe siècle on y compte 111 moulins dont 64 à farine, les autres ont des activités de type industriel. Et ceci sur le seul tronçon de Planfoy, qui est sur un affluent du Furan, à Saint-Priest-en-Jarez soit moins que les 18 km du Vizézy dont nous allons parler. En 1881 on compte sur le Furan 489 barrages ou plutôt chutes d'eau, c'est sans aucun doute un record dont Saint-Étienne n'a pas encore pris conscience ! Ce chiffre rassemble probablement toutes les chutes de l’agglomération y compris celles qui se trouvaient sur les affluents du Furan. Il faut rappeler que Saint-Étienne est le berceau français de la révolution industrielle et le berceau de la turbine, n'allez pas chercher une autre ville pour trouver une rivière aussi industrieuse. Même en Angleterre, où tout a commencé, on ne disposait pas de rivières aussi rapides pour exploiter le courant sous toutes ses formes.

Documentation utilisée
- Archives départementales, série M cote 1041.
- Archives et bibliothèque de la Diana : Chartes du Forez, Les moulins de Saint-Bonnet-le-Courreau, Bulletins de la Diana (nommés dans le texte), cahier de doléances de Saint-Bonnet-le-Courreau.
- Archives sonores du groupe Patois Vivant du centre social de Montbrison.
- Adilon (Geneviève), "Les moulins des Massons", Cahiers de Village de Forez no 7, 2005.
- Bouteille (Michelle), "Les Moulins du Vizézy", 1998, Village de Forez (recherches de 1996 avec une classe de 4e).
- Busseuil (Mireille) et Pommier (Suzanne), "La vallée des Moulins", Village de Forez, 1999.
- Cadastre napoléonien.
- Carte de Cassini.
- Cartulaire des francs-fiefs du Forez.
- GRAL, De la meule au moulin, 2002.
- Guide de visite du moulin des Massons.
- Latta (Claude) : Histoire de Montbrison.
- Mervillon (Jean), Premier essai statistique sur la commune de Saint-Bonnet-le-Courreau (écrit au XIXe siècle), présenté et annoté par Geneviève Adilon, La Diana-Cahiers de Village de Forez, no 19, 2006.
- Obituaire de la province de Lyon, tome I, par le biais de l’Armorial de Guillaume Revel analysé par DARA, 2011.

Sites :
- L’histoire de La Bénisson-Dieu, Belling Dominique.
- C. Rivals, université de Toulouse Le Mirail, 1984.
- geo.cybercantal.net qui propose des extraits de la thèse non publiée de Laurence Perry 1986 sur les moulins auvergnats voisins.
- Histoire et évolution sociologique de la scierie : Étude de l’observatoire des métiers de la scierie : chalayer-scierie.chez-alice.fr.
Ainsi que des sites linguistiques concernant la toponymie.

Témoignage (et aide) :
- Jean Blanchet, pour l'exploitation du fonds Brassart déposé à la Diana.
- M. Fournier de Saint-Bonnet.
- Hubert Houdoy, à propos du bief de l’Oule.
- Janine Tissot qui a mené des recherches sur les routes de la vallée du Vizézy.
- M. Vernay du service des eaux de Montbrison (photos et information sur les biefs)

Merci beaucoup à tous ceux qui ont aidé à la réalisation de ce travail.