Couverture : Une distribution de l'Aumône générale de Lyon (détail), gravure extraite de Sébastien Gryphe, La Police de l'Aulmosne de Lyon, 1539 ; BN.

 


CAHIER N° 135

La pauvreté de la fin du Moyen Âge à la Révolution
image, structure et conjoncture
Communication
15e Printemps de l'histoire

Conclusion
Ces structures économiques et mentales ne vont pas disparaître par enchantement du jour au lendemain, sous la pression d’un événement politique, fût-il aussi important que la Révolution française. Nous retrouvons cette pauvreté « ancienne » dans les différents régimes révolutionnaires (Constituante, Législative, Convention, Directoire, Consulat) et sous l’Empire , et le même type de crises périodiques, qui, même si elles ne provoquent plus les mêmes hécatombes qu’aux XVIe-XVIIIe siècles, témoignent d’une pauvreté, chronique et exceptionnelle, qui perdure. Le changement ne commencera qu’avec la deuxième du XIXe siècle et l’avènement d’une société industrielle, ce que résume parfaitement Jean-Pierre Gutton :
Ce n’est qu’à partir des années 1850 que ces mécanismes commenceront vraiment à se dérégler. Ce n’est que lentement qu’ils disparaîtront sous l’effet conjugué des lois sociales, des progrès médicaux et chirurgicaux, de l’élévation du niveau de vie, de l’urbanisation liée à l’industrialisation .
Les mémoires d’enfance de Benoît Malon montrent, encore en plein XIXe siècle, la détresse, parfois vitale, de ces petits journaliers, obligés de louer leurs bras et leur force de travail, presque leur seul bien, loin de leur pauvre chaumière, de se soumettre aux aléas du temps (climat), parfois d’en mourir, comme le père de notre scripteur, et l’existence extrêmement difficile d’une veuve avec des enfants à charge (sa mère), obligée de se louer à son tour . Donc pas de réel changement : un Ancien Régime qui n’en finit pas de mourir et qui perdure en plein XIXe siècle !
Les historiens stéphanois mettent bien en évidence des crises dont la nature est similaire à celles d’Ancien Régime au début du XIXe siècle. Jacqueline Bayon présentant les difficultés qui continuent à s’accumuler au début de la Révolution, met en avant, en 1790, « les sempiternelles difficultés d’approvisionnement »,
le problème de la soudure. Début juin, le seigle et le froment commencent à manquer. La situation prend un tour véritablement préoccupant , d’autant que la récolte 1790 s’avère médiocre. La Charité vend son surplus à la Grenette, cependant que les citoyens ayant quelques stocks sont invités à faire de même. Les mécontentements commencent à fuser de toutes parts […]. Le 4 août 1790, une émeute de la faim éclate .
Une telle situation se renouvelle tout au long de l’époque révolutionnaire, les problèmes climatiques, économiques, politiques se conjuguant, comme jamais, pour générer misère et pauvreté.
Au moment de la Terreur, malgré la loi du Maximum (septembre 1793) et les politiques publiques d’approvisionnement, « l’extraordinaire sécheresse de l’été 1793 et le siège de Lyon ont achevé de vider les greniers stéphanois » : « La faim, sœur de la misère et du chômage, accompagne le Stéphanois à l’entrée d’un hiver qui promet d’être rigoureux. Les pauvres gens, les « trois soupes », ont bien du mal […] » à se sustenter avec un potage « tremblant ». « Le problème de la faim, toujours présent, jamais résolu, continue de hanter toute l’histoire de l’An II . »

Le changement de régime politique n’améliore pas le régime alimentaire des masses populaires, et le prix du pain atteint « des sommets en décembre 1794 ».
Le Consulat et l’Empire ne dérogeront pas à cette règle d’une misère populaire prégnante dans la ville « industrielle ». De 1799 à 1814, « les faubourgs populaires de Polignais et du Panassa, véritable cour des miracles, recèlent quelques-unes des rues les plus misérables de la ville ; le long de celles-ci […] s’égrène un chapelet de pitoyables habitations. C’est là que descendent, les jours de colère, les Stéphanois affamés ».
La géographie de la misère, dans la ville, n’a pas, non plus, tellement évolué par rapport à la fin du XVIIe siècle… celle-ci se concentrant dans les quartiers populaires.
On pourrait trouver d’autres exemples similaires, avec des nuances locales, dans tout le département de « Rhône-et-Loire » pour quelque temps encore.
Un historien qui aurait écrit au début dans la première moitié du XIXe siècle aurait pu présenter « un monde que nous n’avons pas encore perdu … »

Sources
Les principales sources ont été dépouillées et exhaustivement utilisées par les grands chercheurs sur l’histoire de la misère et de la pauvreté, Jean-Pierre Gutton, Bronislaw Geremek et, en ce qui concerne le Forez et Montbrison, Joseph Barou : ce sont principalement les archives hospitalières, les archives administratives et judiciaires, les ordonnances et édits émanant des diverses autorités…
Je me suis servi des différents travaux ci-dessous, qui les utilisent et les citent. J’ai, dans le cadre de mes recherches personnelles, plus particulièrement travaillé sur les livres de raison et mémoires (Jean-Pierre Gutton ne les ignorait pas dans le cadre de sa grande thèse). J’ai principalement recensé et m’ont particulièrement servi, dans le cadre de ce travail et de cet article sur la pauvreté :
- Livre de raison des seigneurs d’Aix (La Chaise d’Aix dans le Roannais). La Diana, copie des papiers d’Auguste Chaverondier, fonds Ludovic Brassart, en cours de classement.
- Moi, Hugues Aulanier. Journal de l’abbé Aulanier, curé du Brignon (1638-1691).
Tome 2 : 1641-1650, éditions de la Borne, 1987, 355 pages.
Tome 3 : 1651-1655, éditions de la Borne, 1990, 367 pages.
Tome 4 : 1656-1661, éditions de la Borne, 1995, 283 pages.
Tome 5 : 1662-1667, éditions de la Borne, 2000, 438 pages.
Tome 6 : 1674-1680, éditions de la Borne, 2005, 508 pages.
- Defay Roger (éd.) : Livre de famille. Notes filiatives de bourgeois de Saint-Chamond (1524-1683). In Le Jarez d’hier et d’aujourd’hui, n° 35, juin 2000, pages 17 à 40 ; et n° 36, décembre 2000, pages 24 à 40.
- Le livre de raison du docteur Pierre Boyer de Saint-Bonnet-le-Château et de ses descendants, dont je n’ai pu retrouver l’original, certainement dans une branche de la famille, mais dont des transcriptions partielles ou intégrales sont consultables à la Diana ; voir en particulier, Fleury et Guy Pelletier : Les Boyer, 1950, bibliothèque de la Diana, vitrine 19 - rayon 4 (le livre de raison est intégralement retranscrit pages 509 à 562, des rubriques du docteur Pierre Boyer sous Louis XIII à la dernière de Fleury Pelletier en 1908).
- Sanial Bernard (éd.) : Journal de Jean Clavel du Monastier Saint-Chaffre. Préface de Martin de Framond. Les Cahiers de la Haute-Loire, 2001, 261 pages.
- Fournet-Fayard Alain (éd.) : Le livre de raison de Claude Dumarest (XVIIe-XVIIIe siècles). In Bayon Jacqueline (dir.) : Vivre et mourir à Saint-Étienne aux XVIIe et XVIIIe siècles. PUSE, 1998, 128 pages (pages 71 à 126).
- Durand Vincent (éd.) : Feurs. Mémoire inédit de l’abbé Jean-François Duguet, curé de Feurs, suivi de L’Histoire de la famine de 1709. La Diana, 2000 (1re édition 1880), 400 pages.
- Durand Vincent (éd.) : Un registre de famille aux XVIe et XVIIe siècles. In Revue forézienne, 4e année, 1870, pages 167 à 173.
- Les livres de raison et de compte du château de Goutelas que j’ai dépouillés à la Diana. 3 livres conservés à La Diana, fonds Goutelas, sous les cotes 1 E7 212, 1 E7 213 et 1 E7 684.
- Vanel J-B (éd.) : La peste à Saint-Genest-Malifaux en 1628. Journal inédit de Louis Jacquemin. In Revue du Lyonnais, 1887(1), pages 279 à 292,337 à 356 et 417 à 432.
- Malon Benoît : Souvenirs d’enfance ou Fragment de mémoires. In Latta Claude : Benoît Malon, une jeunesse forézienne. Textes présentés par Claude Latta. Jacques André éditeur et Les Amis de Benoît Malon, 2008, 215 pages.
- Livre de raison d’Étienne Mège dit Médicis, bourgeois et chroniqueur du Puy-en-Velay au XVIe siècle. Archives départementales de la Haute-Loire, cote 1 J 756.
- Abbé Reure : La maison Nazarier de Fayolle et le livre de raison d’Étienne Nazarier (étude et extraits d’un livre de raison et de l’histoire d’une famille du Roannais), 1894.
- Longeon Claude (éd.) : Le « Livre de Mémoire » d’un protestant forézien (1608-1646). [Le livre de raison d’André Peyretier]. In Études foréziennes, VII (1974-1975) - La vie religieuse en Forez, 1975, pages 91 à 106.
- Notes de l’abbé Ranchon, curé de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (1752-1805), éditées et commentées par l’abbé Duplain. In Revue du Lyonnais, 1891(2), pages 15 à 25, 75 à 85, 145 à 160 217 à 227 et 316 à 324.
- Remuzon Thierry et Boy Michel (éd.) : Le livre de raison du maître papetier Louis Richard. Chroniques Historiques d’Ambert et de son arrondissement, no hors-série 17, 1991, 82 pages.
- Vallet Gérard (éd.) : Livre de raison de Louis et François Thévenon, serruriers à Montbrison (1782-1846), Cahiers de Village de Forez, no 71, 2010, 34 pages.
- Pouzols-Napoléon Philippe (éd.) : Le manuscrit dit « Thiollière de L’Isle », 1617-1779. In Saint-Étienne, Histoire et Mémoire, no 228, décembre 2007, pages 42 à 52.
- Journal d’un curé de Vaise (messire Salicis). In Revue du Lyonnais, 1877(1), pages 443 à 449.
Enfin, j’ai retrouvé à la Diana la copie d’une pièce de 1726 sur l’hôpital de Saint-Bonnet-le-Château, cote 1 F42 212 26-33.