CAHIER n° 96

Collectif,

Printemps de l'Histoire 2011

Richesse et diversité des patois foréziens

Hommage aux patoisants foréziens Joseph Barou, Maurice Damon 3
Le patois quand on ne le parle plus, presque plus Maurice Damon 7
Le Forez dans le francoprovençal Lucien Barou 12
Un patrimoine à transmettre Jean Chassagneux 23
Que reste-t-il du patois ? (enquête de lycéens) Pascal Chambon 25
Mademoiselle de Poncins, Marguerite Gonon et le patois Claude Latta 26

Hommage aux patoisants du Forez
Les débuts du groupe Patois Vivant
Il y a 34 ans, le 6 février 1976, se tenait, rue des Clercs, une première rencontre de patoisants . C'était alors une toute nouvelle animation du Centre social de Montbrison créé peu d'années auparavant. Puis, pendant huit ans, de 1976 à 1984, des veillées se sont tenues chaque mois dans le même lieu.

Il s'agissait d'échanger en patois souvenirs, contes, anecdotes, chansons du passé. Les participants, peu nombreux - une ou deux douzaines - mais très fidèles, ont formé le groupe Patois Vivant. Tout est dans le nom : la volonté de sauvegarder le vieux parler forézien et de le considérer non pas seulement comme un sujet d'étude mais comme une langue vivante.
Antoinette Meunier
Xavier Marcoux Des premiers animateurs de cette période relevons Antoinette Meunier, Pierre Dumas, Xavier Marcoux, Jean Chambon, Jean-Claude Fayard, Georges Démariaux, Célestin Masson, Marie Chèze, Marcel Epinat, Thérèse Guillot, Valérie Laurent, Jacques Barsalon…
Des dizaines d'heures d'enregistrement ont été réalisées. Une modeste revue semestrielle, justement intitulée Patois Vivant, a regroupé en 16 numéros ronéotypés quelques-uns des textes les plus significatifs transcrits et illustrés par Andrée Liaud. Ce sont de précieuses traces malgré des imperfections.

Patois Vivant : le retour
En 1998, après une longue période de sommeil, le groupe Patois Vivant a repris des couleurs avec, en quelque sorte, une nouvelle vague de participants. Il y a, depuis douze ans, quatre veillées par an, les premiers mercredis d'octobre, de décembre, de février et d'avril. Elles se déroulent toujours au Centre social de Montbrison, installé maintenant place Pasteur. Elles sont animées avec un grand et affectueux savoir-faire par André Guillot entouré de Joseph Barou, Maurice Damon, Paulette Forestier et Anna Reboux. Il y a, tout à la fois, des changements et une vraie continuité.
Célestin Masson Des changements d'abord. L'assistance est importante, souvent plus de cent personnes, bien plus que vingt ans plus tôt. Beaucoup comprennent le patois mais ne le parlent pas. La moyenne d'âge est élevée. Les participants viennent de nombreux villages du Montbrisonnais, des montagnes du Soir et même des monts du Lyonnais. L'attitude des patoisants a aussi, semble-t-il, évolué. Maintenant, pour beaucoup, parler patois c'est affirmer avec une certaine fierté son identité et ses racines. Il y a quelques décennies, ils hésitaient à le faire et parfois même en éprouvaient un peu de honte.
Les intervenants des années quatre-vingt qui étaient âgés - certains auraient aujourd'hui plus de cent ans - ont presque tous disparu. La relève a été prise par une nouvelle génération, sans doute la dernière à s'exprimer avec aisance en patois. Relevons, au risque d'en oublier - que les intéressés nous pardonnent ! - ceux qui sont intervenus le plus souvent : le Père Jean Chassagneux, Thérèse Guillot, Maurice Brunel, Joseph Vente, André Berger, Anna Reboux, Marie Coiffet, Georges Démariaux, Marthe Défrade, Marthe Quétant…
Enfin la musique a fait son apparition. Chaque rendez-vous, à la manière des veillées villageoises, se termine, pour le plaisir, aux sons de l'accordéon d'André Berger ou d'André Guillot, et des harmonicas de "Fifi" Epinat, récemment décédé, et de ses amis Chavaren, Roux et Voldoire…
Maurice Brunel - André Berger - MM. Voldoire, Chavaren, Roux et Voldoire - Thérèse Guillot - Damien Ruffier - Marie Coiffet - Jean Chambon - Joseph Vente
Georges Démariaux Et la continuité au fil des années ? Elle existe. Certains, comme l'ami Georges, sont là depuis l'origine. La plupart des participants d'aujourd'hui ont connu les anciens. Ils racontent encore certaines de leurs histoires, chantent leurs chansons. De façon informelle, le groupe Patois Vivant a formé des liens entre les générations et entre les divers villages du pays forézien. Il apporte aussi au Centre social un discret mais réel rayonnement au-delà de l'agglomération.
Patois Vivant est aussi un révélateur des relations entre Montbrison et sa campagne, spécialement la campagne montagnarde. Lorsque, pour introduire les veillées, André Guillot, en patois évidemment, interroge la salle : "Qui vient de Lérigneux ? de Saint-Bonnet ? de Roche ? de Marcilly ? de Sauvain ? de Champdieu ?..." les mains qui se lèvent sont bien entendu celles d’habitants de ces villages.
Mais beaucoup sont aussi celles de Montbrisonnais qui ont quitté l’un ou l’autre des villages cités pour s’installer en ville ou descendent d’ancêtres proches qui l’avaient fait avant eux. Même s’ils ne l’habitent plus, leur village d’origine demeure pour eux la première référence géographique, et le patois qu’ils y ont parlé une marque culturelle.
Alors le Centre social, au cours de chacune des séances citadines du groupe Patois Vivant, devient une sorte de conservatoire vivant de la langue forézienne ! Ces soirs-là, le patois se répand sur la ville… Les journaux en rendent compte. Montbrison se reconnaît alors montagnarde, comme elle le fait aussi à la Toussaint ou le jour de la fête patronale, qui voient les citadins remonter en grand nombre à leurs sources villageoises.
Père Jean Chassagneux Ville et campagne ont de tout temps été dans une situation de dépendance mutuelle. L’une a également besoin de l’autre. Mais la nature de la relation se modifie à vive allure : chacun a remarqué que la ville étend son domaine bien au-delà de ses limites anciennes et se "ruralise", et que la campagne adopte des modes de vie nouveaux et "s’urbanise". Les populations se côtoient, quelquefois se mêlent. On sent bien qu’on cherche, avec hésitation, de nouvelles manières d’être. Le patois a été moyen de relation et de reconnaissance entre gens d’un même pays, signe d’une certaine façon de vivre - et de penser. Pour cela, il demeure, parmi bien d’autres, l’un des symboles utiles à la constitution de ces "nouveaux espaces territoriaux", de ces "schémas de cohérence territoriale" que, dans le langage d’aujourd’hui, les spécialistes de l’aménagement voudraient dessiner. Comment dirait-on cela en patois ?
Ne nous égarons pas : le patois disparaît. Il a depuis longtemps quitté la ville, même le jour du marché. A peine se retrouve-t-il encore, avec ses nombreuses variantes, dans les villages. Surtout dans les monts du Forez d'ailleurs. Mais alors, le nombre de patoisants peut se compter sur les doigts de la main. Or c'était plus qu'un langage. Avec lui une certaine façon de vivre - et de penser - s'en va. Le pays forézien y perd un peu de sa diversité, de sa couleur, de son âme. Les derniers patoisants, ceux pour qui c'était la langue maternelle, deviennent octogénaires.
Le groupe Patois Vivant du Centre social de Montbrison agit depuis longtemps, à son niveau, pour lutter contre ce déclin. Des publications ont été réalisées par Village de Forez. Les poèmes en patois de Chalmazel de Xavier Marcoux précédés d'une étude de Danièle Latta ont été diffusés. Quant aux remarquables travaux du Père Jean Chassagneux, qui est une sorte de félibre du pays de Saint-Jean-Soleymieux, ils ont fait l'objet de cinq cahiers de Village de Forez. Ils ont été regroupés dans un seul ouvrage. Et ainsi, le patois du canton de Saint-Jean est sans doute l'un des mieux étudié…

Collection "Etude et témoignages"

Communications au 11e Printemps de l'histoire. Auteurs : Maurice Damon, Joseph Barou, Lucien Barou, Jean Chassagneux, Pascal Chambon, Claude Latta.