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Maurice DAMON
Introduction
Chaque Forézien, pour s’y être promené, ou pour y avoir vécu et travaillé, connaît la montagne des jasseries. Ces vastes étendues couvrent la partie haute des monts du Forez, de part et d’autre de la ligne de crête qui sépare Auvergne et Forez, départements du Puy-de-Dôme et de la Loire. A partir d’environ 1 300 mètres d’altitude, là où les arbres se rabougrissent, puis laissent la place à la bruyère, c’est la zone de l’ancienne transhumance estivale, le pays de la fourme.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la plupart des montagnes ont été partagées entre leurs ayants-droit ou leurs copropriétaires, et les prés ont été agrandis au détriment de l’indivision. Le mode d’usage en a peu été affecté dans un premier temps. Chacun a continué à faire pacager son troupeau sur les landes de bruyère, désormais sur sa propre parcelle, à lui faire paître l’herbe nourrissante de son pré, à fabriquer et vendre ses fourmes.
Le XIXe siècle, qui a été celui de la plus grande occupation des jasseries, a été aussi celui d’un considérable accroissement de la population, jusqu’au point d’une surpopulation, qui provoquera ensuite le départ de beaucoup vers les villes et ses emplois industriels. La montagne pastorale, qui se trouve peu à peu privée de main-d’œuvre, ne résiste évidemment pas au phénomène général de l’exode rural. Il n’existe plus aujourd’hui de jasseries exploitées sur le mode ancien, et il y a longtemps qu’on n’y fait plus de fourmes. En 1926, le quart des jasseries avaient été abandonnées ; en 1950 la moitié ; en 1988 une quarantaine sur l’ensemble du massif étaient habitées, et sur les 10 000 ha de montagne, 2 000 avaient été rendus à la forêt. On connaît les nouvelles utilisations qui sont faites aujourd’hui de la montagne avec les syndicats d’estive de moutons sur les deux versants, l’amélioration de terrains de parcours devenus des réserves d’herbe, la transformation de loges et de cabanes en résidences secondaires et la volonté affichée de la préservation et de l'exploitation touristique de cette montagne.
Il se trouve que, dans les années soixante, par attrait pour ce pays d’ancêtres et leurs habitants, et aussi pour les besoins d’un travail de recherche universitaire, j’ai séjourné à plusieurs reprises à Garnier. Ce "jas" avait un peu mieux résisté que d’autres, et sept loges étaient encore occupées et exploitées. Locataire de la seule loge vacante, je pouvais observer de près les dernières manifestations du mode de vie montagnard, interroger mes voisins, parler avec eux, essayer de comprendre comment la montagne de la fourme s’enracinait dans la société locale, pour finalement laisser place à de nouvelles fonctions. De Garnier, je pouvais parcourir les deux versants de la montagne et observer ce qui restait encore vivant.
Au cours de ces séjours, j’ai réalisé, en été 1963, des photographies destinées à illustrer ce que j’avais à écrire. Elles ne sont pas assez nombreuses et souvent de qualité douteuse. Elles n’en sont pas moins des documents utiles à la compréhension de pratiques matérielles, sociales, économiques et culturelles qui ont marqué notre région et contribué à faire de beaucoup de Foréziens ce qu’ils sont. Le commentaire qui accompagne ces images se réfère, bien entendu, à la situation observée en 1963.
Village de Forez, groupe d’histoire locale du centre social de Montbrison, joue le rôle de conservatoire des modes de vie foréziens. Ses membres ne cherchent pas à cultiver une trompeuse nostalgie. Ils sont, en revanche, convaincus de l’intérêt qu’il y a à rechercher dans le passé de quoi mieux comprendre l’actualité, et mettent pour cela les résultats de leurs travaux à la disposition de tous. Cet album de photos apporte ici sa modeste contribution. Je remercie les amis de Village de Forez qui, grâce à leur moderne savoir-faire, leur patience et leur bonne volonté, ont restauré ces vieilles images et en ont facilité la publication.
Collection "Histoire locale"
Ce cahier présente les photos prises en 1963 par l'auteur pour sa thèse de doctorat de 3e cycle en sociologie rurale : Les Jasseries des monts du Forez. Ce sont aujourd'hui de précieux documents (15 pages en couleurs).