CAHIER n°67

Marcel Roinat et Simone Roinat-Dumont,

Saint-Bonnet-le-Courreau année 30-50

Saint-Bonnet-le-Courreau attire décidément l'attention du groupe d'histoire locale du centre social, Village de Forez. La commune a en effet donné lieu ces dernières années à plusieurs publications. Des documents existent ici ou là ; longtemps ils restent dans l'ombre. Puis un jour, pour une raison fortuite ou par la volonté délibérée d'un chercheur passionné, ils sortent de l'oubli, et sont portés à la connaissance du public.
Les documents à l'origine des deux dernières publications viennent de Marcel et Simone Roinat-Dumont, père et fille. Marcel Roinat, instituteur à Saint-Etienne, avait épousé Marguerite Palmier, de Saint-Bonnet. Il séjournait longuement chaque année, depuis les années 30, dans le pays de sa femme. Et là, il connaissait et fréquentait avec affection famille, voisins et connaissances.
Amateur de photo et de cinéma, il a, jusqu'aux années 50, photographié et filmé les paysages, les gens de Saint-Bonnet et leurs faits et gestes. Simone, étudiante au début des années 50 à l'école normale de Saint-Etienne, avait choisi les monts du Forez pour thème de son mémoire de fin d'études d'institutrice. Elle illustrait son travail de nombreuses photos prises à Saint-Bonnet par son père.
Simone Roinat-Dumont habite aujourd'hui la région bordelaise mais demeure une fidèle du Forez et de Village de Forez. Elle a souhaité que ces témoignages en images puissent être transmis. Elle a donc confié à Village de Forez les documents personnels dont elle disposait. Le film a été transféré sur un DVD et recopié sous le titre : Journée d'été dans les monts du Forez, à Saint-Bonnet-le-Courreau (1950). Et, parmi les 200 photos conservées, une centaine ont été sélectionnées pour un album de 64 pages intitulé : Saint-Bonnet-le-Courreau, années 30-50. Ce cahier de Village de Forez est présenté par Maurice Damon, ethnologue forézien, lui-même auteur de plusieurs cahiers sur Saint-Bonnet et les monts du Forez.
Toutes ces images peuvent alimenter la nostalgie : visages disparus, paysages transformés, pratiques oubliées … Là n'est pas l'essentiel : chacun peut à sa manière chercher à leur redonner vie. Il appartient aux plus anciens de montrer aux plus jeunes tout ce qui reste caché derrière ces photos. Il y a beaucoup à découvrir : une période, l'histoire d'un pays, un peu de l'histoire à laquelle Saint-Bonnet a donné sa part… Il appartient à tous d'observer les changements et d'en apprécier la portée.

Film et album sont en vente au centre social de Montbrison

Présentation
Cet album a été réalisé à partir de documents confiés à Village de Forez par Simone Roinat, épouse Dumont. Le plus important d’entre eux est le mémoire de fin d’études qu’elle a rédigé, en 1953, lorsqu’elle se préparait à la profession d’institutrice à l’école normale de Saint-Étienne. Il a pour titre : À travers les monts du Forez. C’est un document de 45 feuilles cartonnées. Elles portent un texte manuscrit au recto ; au verso, elles sont recouvertes de clichés photographiques, au total 148. Trois cartes dressées à la main figurent dans le cours du document.
L’étude, s’appuyant sur la bibliographie disponible de l’époque, traite des monts du Forez sous divers aspects, géologique, botanique, climatique, géographique, historique, économique, culturel... Parmi ces pages, Saint-Bonnet-le-Courreau occupe une place de choix : quinze lui sont spécialement réservées, auxquelles s’ajoutent six autres consacrées aux jasseries et à la fourme, et par conséquent en partie à Saint-Bonnet. C’est que Simone Roinat, originaire, par sa mère Marguerite Palmier, de Saint-Bonnet, a, dans son enfance et sa jeunesse, bien connu et aimé le pays où elle a vécu et pour lequel elle éprouve encore aujourd’hui la même sympathie . Elle l’a parcouru, avec famille et amis, guidée par son père, Marcel Roinat, lui aussi instituteur, mais aussi photographe et cinéaste amateur de qualité .
Les clichés inclus dans le mémoire de Simone Roinat se complètent ainsi d’autres, également de Marcel Roinat, l’ensemble totalisant plus de deux cents illustrations .
Toutes ne portent pas la mention de l’année de leur réalisation ; diverses observations permettent cependant de les dater depuis les années trente jusqu’aux premières des années cinquante. Dans le mémoire de Simone Roinat, chaque photo est assortie d’une légende ; c'est rarement le cas des autres clichés. Si les souvenirs de témoins de l’époque ont permis d’apporter quelques compléments d’information, toutes les photos n’ont cependant pas pu être datées ou l’ont été de façon approximative ; et tous les personnages et tous les lieux n’ont pas pu être identifiés.
Dans cet album ont été retenues la plupart des illustrations de Saint-Bonnet ; les limites communales ont été quelquefois dépassées, spécialement pour inclure plusieurs images de la montagne et des jasseries.
À Saint-Bonnet, le bourg et Bucherolles sont privilégiés. La famille Roinat, venant de Saint-Étienne, passait ses vacances dans la maison familiale des Palmier , au bourg, où elle avait de nombreuses connaissances. Les membres de la famille - en particulier, tous les cousins de la famille Massacrier, d'où provenait la grand-mère de Simone - les proches, les voisins sont ainsi une cible familière pour le photographe, qui peut les observer à loisir. On remarquera alors l’attention portée au détail quand, par exemple, nous est montré le geste des artisans. Le regard est porté avec la même précision sur les paysans à Bucherolles, Bucherolles qui fait aussi l’objet d’une attention particulière parce que c’est là où se trouvent les origines de la famille Palmier et que, comme au bourg, la relation s’établit de manière plus directe et plus intime.
La montagne des jasseries a été, elle aussi, beaucoup photographiée, à Saint-Bonnet et au-delà, à Roche, à Sauvain, sur le versant auvergnat. La montagne attire, pour la beauté des paysages et le caractère des bâtiments d’estive qui séduisent le photographe, et également pour l’intérêt de la promenade, lente montée vers les hauteurs...
Du texte du mémoire de Simone Roinat, seuls ont été transcrits - en italique - quelques passages qui complètent utilement l’information photographique et sont caractéristiques du point de vue de l’auteur. Ils ont servi de guide à la présentation des photos de cet album.
Toutes ces images sont une manière de voir Saint-Bonnet. Le regard de Simone et Marcel Roinat est amical, affectueux, parce que leurs origines les rendent proches des gens. Mais, ils sont aussi "de la ville" et, de ce fait, leur regard se fait extérieur, il prend du recul et devient celui de l’observateur. Ils observent d’abord à des fins documentaires : dans son travail d’étudiante, Simone Roinat dresse le tableau d’une petite région rurale. Pour les besoins de l’enquête, la photographie illustre le texte ; l’une et l’autre se répondent pour donner au lecteur des informations sur la vie à Saint-Bonnet dans ses différents aspects. Simone et Marcel Roinat, en enseignants qu’ils sont l’un et l’autre, ont le souci pédagogique de la précision et du travail bien fait . Leurs images et leurs commentaires sont des témoignages de première main, et de précieux documents d’histoire rurale.

Mais le regard est aussi, et d’abord, esthétique. Observant de plus près les images qu’il a cadrées dans son objectif, on voit bien que le photographe a choisi avec soin son angle de vue, bien ciblé son sujet, placé un premier plan pour mieux mettre en valeur ce qui l’intéresse à l’arrière, bref, a mis en œuvre tout son savoir-faire pour réaliser ce qu’il est convenu d’appeler de "belles photos". Et il a parfaitement réussi. Mais alors, les personnes, les groupes, les animaux, les instruments de travail, les maisons, les paysages qu’il photographie, bien cadrés dans leur format de papier, sont comme mis en scène et prennent valeur, si l’on ose dire, de petites œuvres d’art.
Dans le regard du photographe, les hommes et les choses se transforment et son œil fixe une réalité bien différente de celle perçue et vécue par ceux qu’il retient dans son objectif : on n’imagine pas, comme le fait notre photographe à travers ses clichés, une paysanne en jasserie faire état des charmes de la montagne, parce qu’elle est pour elle non pas un objet d’art, mais son lieu de travail et de vie sociale, ni un moissonneur s’arrêter sur la beauté de son geste, qui est pour lui une nécessité technique... Ceux de Saint-Bonnet, gens du pays, qui ont vu ces photos avant qu’elles ne soient insérées dans cet album, pas plus que ne l’auraient fait la paysanne ou le moissonneur, ne se sont pas arrêtés d’emblée sur la beauté des images ou la pertinence des cadrages. Leur préoccupation était ailleurs : reconnaître les personnes et identifier les lieux ; replacer les scènes dans leur contexte et les commenter. Scrutant, figés sur le papier, un portrait, une scène ou un paysage, ils cherchaient à redonner vie aux images, à reconstituer tout ce que la photo a gardé caché et ne peut plus montrer. C’est l’un des grands intérêts des photos que d’amener ceux qui les regardent à parler d’autre chose.
Le Saint-Bonnet que nous invitent à voir ces images, pour beaucoup d’entre elles, est un Saint-Bonnet de musée. Ce sont certes de "belles photos", celles de la fileuse, du forgeron, de l’ébéniste, du charron, celles des bœufs au travail, celles des fenaisons et des battages, celles des bergères et leur troupeau, celles des jasseries et de la montagne… Mais elles sont aussi la représentation en images fixes et tronquées d’une époque et d’un mode de vie qui se figent et vont être supplantés par le modernisme en tout genre, et dont on cherche à garder le souvenir. Il fallait, pour notre photographe, que ces photos soient belles pour qu’elles deviennent des "photos-souvenirs". Le présent album sera leur musée.
Mais quelques clichés nous montrent que la modernisation est en marche à Saint-Bonnet et Simone Roinat, se réjouit que "plusieurs améliorations ont été faites en particulier l’installation de l’électricité en 1930, l’amélioration des routes et le désenclavement des villages" et souhaite que l’on avance dans cette direction. Le tourisme est présenté comme l’une des voies à suivre. Les années d’après-guerre, celles des premiers congés payés, voient déjà les pièces d’habitation disponibles au bourg de Saint-Bonnet occupées par des familles montbrisonnaises, stéphanoises, lyonnaises pendant quelques semaines des vacances d’été. La famille Roinat est de celles-ci, dans la grande maison des Palmier. Alors, ces "gens de la ville" qui mettent en scène la campagne s’observent eux-mêmes dans leur rôle de "villégiateurs", d’"estivants" qui inaugurent au cours de leurs promenades familiales et amicales ce qu’on appellerait aujourd’hui la randonnée pédestre. Comme à leur habitude, ils prennent des photos, "belles photos" de scènes qui, elles, pourraient figurer dans un musée du tourisme vert.
Que Simone Roinat soit remerciée d’avoir bien voulu, depuis la région bordelaise où elle habite, adresser à Village de Forez ces précieuses archives familiales d’où ont pu être extraites les photos de cet album.
Pour certains, les images seront belles, pour d’autres instructives, pour d’autres encore émouvantes. À chacun son propre regard…
Maurice Damon