Couverture : le vieux village du Crozet en 1920. En haut à gauche la ferme Chassagneux.

CAHIER n°60

Jean Chassagneux,

Souvenirs d'un quart de siècle d'un jeune de St-Jean-Soleymieux

À la mémoire de Georges Toupet décédé en juillet 2007 Henri France décédé en septembre 2007 et de tous les anciens qui nous ont quittés

Remerciements
- à Village de Forez qui m'a ouvert ses pages depuis 2000.
- à Joseph Barou qui m'a encouragé dans la recherche de mes souvenirs, à son épouse Colette pour la relecture et la correction des textes.

Avant-propos

Les événements sont nos maîtres
Je tiens cette sentence de M. Chambost, ancien directeur de collège, mon voisin et paroissien à l'Hôpital-sous-Rochefort dans les années 1965. Homme fort sympathique et de grande culture, il avait le don de poser les bonnes questions : le pourquoi des choses. On était charmé de sa compagnie et on avait l'impression de devenir un peu plus intelligent en l'écoutant. Il m'a répété plusieurs fois cette phrase : "Les événements sont nos maîtres." Je ne l'ai pas oubliée et je la crois bien venue en relatant mes souvenirs de jeunesse.
1 – "Souvenirs"
Village de Forez m'a déjà plusieurs fois ouvert ses pages : lexique de patois, contes et anecdotes en cette langue, mon regard sur le haut Forez, STO, Auschwitz, Königstein… Ce dernier cahier relatait mon aventure de jeune contraint à deux ans d'exil en Allemagne. On m'a invité à élargir mon regard sur une période plus étendue. Ce que je vais réaliser dans ce livret.
Souvenirs… Au pluriel… Personnellement j'ai encore une assez bonne mémoire des événements du passé, alors que se mélangent confusément ceux des dernières semaines. C'est le lot du grand âge. Un camarade de STO évoquant naguère cette période me disait : "Je m'en souviens comme si c'était hier." C'est aussi mon cas en ce qui concerne ces années tragiques. Je vais donc développer mes souvenirs de jeunesse aussi fidèlement que possible.
Beaucoup se sont perdus en route. Ceux qui ont surnagé, encore très nombreux, sont le reflet de ce que j'ai vécu. Je m'efforcerai d'être vrai, de ne rien embellir et de ne rien noircir. Je crois sincèrement à la valeur et à la portée des souvenirs. Il ne faut pas les laisser perdre. "Jérusalem, que ma langue s'attache à mon palais si je perds ton souvenir", dit le psaume 136. "On n'a pas d'avenir si on n'a pas de passé", a écrit Fernand Braudel. À 86 ans mon avenir risque d'être assez court. Peu importe. Mes souvenirs permettront peut-être aux jeunes générations de connaître un peu mieux l'histoire de notre pays. si c'est le cas, j'en serai satisfait.
2 – "D'un quart de siècle"
Exactement 26 ans : 1922-1948. Voilà des années qui constituèrent une époque charnière, une rupture entre deux mondes. Ma génération le sent lorsqu'elle évoque 1930 à des gens nés après 1950 et plus tard. Les jeunes surtout ouvrent des yeux ébahis lorsque nous leur parlons de notre passé. Ils se demandent dans quel monde nous avons vécu notre enfance. Parfois nous avons l'air de sortir de la préhistoire !...
Mais surtout ce quart de siècle a été dramatique et tourmenté, chez nous, en Europe et dans le monde. Nous avons vécu la montée inexorable vers la guerre, avec des sentiments de mépris, de haine souvent, vis-à-vis de nos voisins allemands. Nous avons traversé le conflit avec ces mêmes sentiments encore exacerbés. Et au bout du chemin nous sommes enfin parvenus à la paix, après avoir réalisé une mue intérieure qui a fait de nous d'autres hommes. Personnellement je me suis retrouvé serein, sans haine et pacifié comme beaucoup d'autres. Cela a-t-il été le cas de la majorité ? Je n'ose pas l'affirmer.
Pendant les années tragiques de la guerre des gens, des jeunes, ont fait des choix différents, voire opposés. Un de mes bons amis d'enfance et de petit séminaire s'est engagé dans la Wehrmacht, a été blessé devant Moscou, et finalement a dû recourir à l'exil en Egypte. En revanche un collègue du grand séminaire, Breton pur et dur, faisait partie de la célèbre 2e division blindée de général Leclerc, et il a connu la gloire de libérer Paris en août 1944.
Pourquoi des choix si différents ? Les causes sont nombreuses : le tempérament, les idées, l'entourage, la formation, la propagande, l'entraînement de quelque copain... Mais surtout, à mon sens, les événements. Oui ils ont été nos maîtres, nous ont orientés, bousculés, désorientés souvent, et conduits peut-être où nous n'avions pas choisi d'aller. Aussi, avant de juger, avons-nous d'abord à chercher à comprendre les pourquoi de tel choix, à tel moment et en tel lieu précis.
Quelle place restait-il à la liberté ? D'abord de quelle liberté ? – Bien difficile de répondre à ces questions. Qu'aurais-je fait à la place de X ou de Y ? Mystère. Je pense malgré tout que nous n'avons pas été de simples bouchons flottant au fil de l'eau, nous contentant de subir. Il nous a fallu réfléchir, chercher de la lumière ici et là auprès de personnes sages au vrai sens du terme. Et en fin de compte nous avons dû décider, miser, souvent dans le brouillard. Mais librement quand même. C'est mon humble avis...
Dans mon récit j'essaierai de ne pas trop porter de jugement. Je ne chercherai à justifier ni mes choix ni ceux des autres. Je m'efforcerai de les expliquer en les situant dans la période et le lieu exacts où ils se sont passés. Je préciserai autant que possible les diverses opinions des gens face à un même événement. Le lecteur pourra mieux comprendre, je l'espère, les difficultés des choix à telle ou telle époque. Y avait-il d'ailleurs un "bon choix" ?
3 – "D'un jeune de Saint-Jean-Soleymieux"
Mon récit n'est pas un roman issu d'une imagination fertile. Ce n'est pas non plus l'aventure de quelque extra-terrestre venu on ne sait d'où. C'est le cheminement de quelqu'un de précis : le mien. J'étais un jeune français, originaire du haut Forez, fils d'un paysan ancien poilu de 14-18, le quatrième d'une famille catholique pratiquante, et à l'époque en formation en vue du ministère de prêtre. Tout cela a pesé sur mon cheminement. D'autres influences sont arrivées et m'ont marqué, se combinant avec les lieux et les temps... À l'arrivée je me suis retrouvé le même, mais tout autre : un autre homme en quelque sorte.
Beaucoup de jeunes de mon pays ou d'ailleurs ont suivi peu ou prou la même voie. Ils peuvent se reconnaître dans mon récit. D'autres ont suivi des routes différentes, influencés par d'autres courants porteurs. Ajoutons-y l'inattendu, le hasard, la chance, la Providence pour les croyants. Sans oublier cette force importante qu'est la camaraderie. Tel a été le destin de chacun. Dans ces pages je vais décrire ces événements qui m'ont personnellement bousculé. Oui ils sont bien les maîtres qui m'ont "fait" ce que je suis aujourd'hui. Mars 2008

TABLE
Devoir de mémoire page 3
Avant-propos 5
PREMIÈRE PARTIE
Souvenirs d'enfance
I – Première rencontre avec l'Église 7
II – Au temps de l'école 12
DEUXIÈME PARTIE
Adolescence et jeunesse
I – Le petit séminaire 15
II – Le grand séminaire
1 – Les débuts 1039-1940 22
2 – Les années charnières
A - Vers le premier engagement 25
B - Vers l'année noire de mes 20 ans 27
TROISIÈME PARTIE
L'ère des grands chambardements
I – Les Chantiers de jeunesse
1 – Incorporation 30
Les chantiers de jeunesse (encadré) 31
2 – Au groupe 7
A – Arrivée 33
B - La vie au groupe 33
3 – Le peloton des chefs d'équipe (CE) 35
4 – Planton chez le chef de groupement 37
5 – Au Liégeoux avec le groupe 3 38
6 – Vers la fin de mes chantiers 40
Le cheminement vers le sacerdoce en 1940 (encadré) 43
II – Le Service du travail obligatoire (STO)
1 – Auschwitz
A - En route vers l'inconnu 44
B – Les découvertes à Auschwitz
a/ Les lieux : les camps 45
b/ Découverte des gens 46
c/ Le chef Toupet, l'homme, son action 50
d/ Rencontre avec l'Église de Pologne 53
e/ Notre vie là-bas
- Ambiance de camaraderie 57
- La vie dans le camp 58
- Le travail 61
- Le camp français et la guerre 62
2 – Six mois de galère : Königstein
A - Adieu Auschwitz 65
B - En route vers l'ouest
a/ Marche laborieuse 66
b/ Sinistres rencontres
c/ Sur les wagons de la Reichbahn 66
C - Königstein
a/ Premiers séjours en ville 67
b/ Eselswieselager : au camp du "pré des ânes"
- Installation 68
- La misère 69
- Les drames 69
c/ Dernier exode 70
d/ Les Russes… et la liberté 71
QUATRIÈME PARTIE
Retour à la vie normale
I – Temps de réadaptation
1 – Dans une ambiance d'euphorie 72
2 – Quelques événements 73
3 – Reprise du séminaire 73
II – Le temps des questionnements
1 – L'arrêt nécessaire 75
2 – Le retour du tapis roulant 76
III – Au terme de mon séminaire
1 – L'horizon politique 77
2 – Sérénité retrouvée – choix différents 78
3 – Vers l'engagement définitif 78
4 – Vers l'ordination ; 4e année de théologie
A – Premier trimestre 79
B – 2e et 3e trimestre 1948 79
C – Les ordinations 81
CONCLUSION
Et maintenant ? 84