La couverture : photo de Dominique Marchiset (place Pasteur)

CAHIER n°spécial

Texte rassemblés par Joël JALLON

Centre Social de Montbrison - 40 ans - 1973 - 2013

Bulletin d'information du centre social de Montbrison n°45

Remerciements
Ce recueil de souvenirs essaie de fixer une partie de la mémoire du centre social de Montbrison. Il rend hommage aux nombreuses personnes qui, au long de quarante années, ont été acteurs de sa naissance et de son développement.
Beaucoup de moments forts du centre social y sont rappelés. Les personnes ayant participé aux différents projets retrouveront, sans doute, avec plaisir et un peu de nostalgie, leur engagement et leurs réalisations.
C'est aussi l’occasion de remercier tous les adhérents, les associations, les organismes publics ou privés qui ont permis au centre social de prendre la place importante qu'il tient dans la vie de l'agglomération montbrisonnaise.
De chaleureux remerciements vont encore à tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à la réalisation de ce cahier de Village de Forez, particulièrement : Amélie Bégonin, Maurice Damon, Claude Latta, Bernard Montibert, François Maguin, Jacques Martinez, Eliane Plagne, Colette et Jo Barou, Joël Jallon.

Sommaire

Présentation
1. Préface : Le centre social de Montbrison, une histoire singulière
2. La vie du centre social, quarante années de 1973 à 2013
3. Ceux qui ont fait le centre
4. Militantisme, bénévolat et fidélité : les 10 plus longues présences au comité de gestion
5. la direction : liste de tous les présidents et directeurs
6. Les portraits : 40 visages, quarante prénoms de 1973 à 2013
7. Une plongée dans les archives : Archives officiels des comptes-rendus de séance

En guise de préface : Le centre social de Montbrison : une histoire singulière

Le centre social de Montbrison a quarante ans, l’âge de la maturité. A l’occasion de cet anniversaire, Joël Jallon, son président, a souhaité présenter aux adhérents de notre association, mais aussi à tous les Montbrisonnais et les Foréziens, un dossier historique qui rappelle non seulement le travail réalisé mais aussi les acteurs de cette histoire. Des extraits des délibérations du comité de gestion et des notices biographiques composent ainsi un ensemble précieux. Ce sont des matériaux pour l’histoire, ils serviront à faire celle-ci. Je renvoie les lecteurs à ces documents dont ils feront leur miel. C’est l’occasion de mesurer le chemin parcouru et le caractère original de l’histoire et du fonctionnement du centre social : un centre social dans la cité, qui participe à sa vie et à son animation.
J’ai été président du centre social de 1977 à 1981, dans une période difficile où son existence même était en jeu et je suis resté membre de son comité de gestion de 1977 à 2010. J’ai fondé avec Joseph Barou la revue Village de Forez et fait des cours publics d’histoire, et d’autres choses encore, dans une démarche collective et fraternelle d’éducation populaire. Cependant, historien, j’ai toujours essayé de poser un regard distancié sur les actions auxquelles j’ai participé et sur la vie du centre social. Ces deux rôles - agir et se regarder agir - m’ont aidé à faire cette préface. Elle navigue entre souvenirs et analyses, sans nostalgie puisque l’aventure continue et que les passages de relais se sont bien faits.
Un conflit fondateur
L’histoire du centre social est une aventure au long cours. Les commencements sont toujours éclairants. Le centre est né d’une demande de militants familiaux et sociaux de la Confédération syndicale des familles (Maurice Plasse, Jo Barou, André Reynard), engagés aussi parfois dans le domaine politique et syndical, qui sont intervenus auprès de la Municipalité de l’époque. Le maire, André Mascle, avait obtenu les crédits nécessaires. La municipalité du docteur Guy Poirieux l’a réalisé et en a confié la gestion à une association - l’Association des usagers du centre social, administrée par un comité de gestion formé de membres élus, de représentants de la mairie, de ceux des travailleurs sociaux et de représentants des syndicats et de diverses associations familiales. Lorsque cette association a été créée, des militants comme Maurice Plasse (Confédération syndicale des familles, Parti socialiste unifié) et Roland Fouquet (Association des parents d’élèves FCPE) ont joué un rôle important en insistant pour que le nombre des représentants élus au comité de gestion soit supérieur au nombre de membres de droit et pour que le président du centre social soit élu par le comité de gestion. Ce sont ces dispositions qui ont fondé l’indépendance du centre social. Le rôle de la Caisse d’allocations familiales (la CAF) a été essentiel : elle a financé en partie le projet, elle l’a porté avec la volonté de mettre en place un centre social dans une ville moyenne et dans un milieu rural. La CAF a ensuite apporté constamment son soutien à l’Association des usagers du centre social. La nouvelle association a dès le début adhéré à la Fédération départementale des centres sociaux.
Un conflit fondateur a marqué la première période de l’histoire du centre social : la mairie, jugeant en effet que le centre social outrepassait ses droits en s’engageant dans des actions qui touchaient à la vie de la cité - l’organisation des conférences sur l’actualité et surtout la défense du caractère public du nouvel hôpital de Beauregard - a voulu reprendre la gestion du centre social. Mais, sur le plan juridique, on ne peut pas dissoudre une association loi 1901. L’Association n’a donc pas pu juridiquement et matériellement être délogée de ses locaux qui ont été, au début du conflit, occupés - de jour et de nuit - par les militants du centre social (parmi eux, citons Bernard Marion, Réjane Perdrix, Christine Chambon, Jean-François Skrzypczak).
Le conflit apparaît aujourd’hui à l’historien comme caractéristique des années 70, bouillonnantes et rebelles, chargées d’espoir. Le conflit fut certainement trop long et trop coûteux sur le plan humain par les affrontements et les divisions qu’il provoqua dans la ville. Nous l’avons vécu parfois douloureusement, mais avec le sentiment du devoir accompli et la volonté de ne pas « insulter l’avenir ». Mais il fut « fondateur » pour le centre social : pendant cette période, malgré les conséquences financières du conflit, on ne pouvait ni fléchir ni capituler. Le centre social, privé de subventions municipales et départementales, avait cependant l’appui de la CAF et celui de la Fédération des centres sociaux et fonctionna donc avec beaucoup de bénévoles - ce qui lui a donné une image particulière, ce qui a créé un « esprit » fait d’ouverture, de responsabilité dans la gestion, d’engagement démocratique. Ce qui l’a obligé constamment à avancer et à progresser, à créer de nouvelles activités, à s’ouvrir à des activités culturelles qui n’étaient pas forcément sa vocation première.
Le conflit a duré de 1976 à 1985. Il s’est terminé par une négociation et un accord signé le 25 juin 1984 dans le bureau du maire, le Dr Poirieux. Pour qu’une paix durable soit signée, il faut qu’elle soit équitable et que chacun y trouve son compte : la Municipalité avait toujours dit que le centre social occupait illégalement les locaux de la rue des Clercs. Le centre social acceptait de s’installer dans de nouveaux locaux aménagés par la mairie rue Puy-du-Rozeil et touchait les subventions départementales dont il avait été privé depuis presque dix ans. Dans la salle du conseil municipal, une réunion commune des délégués du conseil municipal et des représentants du centre social ont pris acte de cet accord. La séance a été retransmise par la radio locale RFM : on aurait dit qu’un traité de paix entre deux Etats venait d’être signé ! Ainsi, depuis cette époque, le centre social a toujours maintenu son indépendance et il fonctionne avec une large part d’autofinancement (50 %). Le prix des activités a parfois été un peu cher par rapport à d’autres centres sociaux mais l’indépendance a un prix, il fallait que les activités aient chacune un budget équilibré.
Plusieurs générations
Plusieurs « générations » se sont succédé : je ne pourrai citer tout le monde. Cependant, parmi les « pères fondateurs » on peut citer Maurice Plasse, Marcel Jourdy, Joseph Barou, Lucienne Cronel, Raymond Broquaire, le premier trésorier, devenu ensuite président de la CAF, qui joua un rôle « diplomatique » important. Claude Latta, Marc Fournier, Nicolas Tziganok se sont rattachés à ce mouvement. Les uns venaient du syndicalisme, d’autres du christianisme social, d’autres de la gauche « laïque ». Une partie de l’action est consacrée au conflit et surtout au développement de nouvelles activités, en particulier culturelles (l’Université populaire, Village de Forez). Les « permanentes » - Denise Saumet, Josiane Purvis - jouent un rôle important. Odile Fournier développe les « Ateliers éducatifs » pour les enfants. Les syndicalistes (Albert Robin, Jean Filleux) sont aussi très actifs. Il y a là un comité de gestion où l’on discute ferme et où la contestation peut être vive.
La « deuxième génération » : de nouveaux élus au comité de gestion croient davantage au règlement possible d’un conflit qu’ils n’ont pas vécu : Jacques Martinez, Blandine Jeudy, Nicole Gaillard, Claudius Pouly, Robert Chardon. C’est la fin du conflit et son risque de retombée de la mobilisation. Un nouveau centre social émerge, marqué par la présence de Jacques Martinez.
A la troisième génération, de plus jeunes apparaissent : Christian Seux, président, et Pascal Georges, coordonnateur puis directeur, viennent du MRJC . André Guillot, Anne Meunier, Maurice Damon, Simone Servajean assurent la relève. Il y a moins de militants, plus de femmes, plus de gens issus des activités ; une longue négociation pour de nouveaux locaux (de la rue Puy-du-Rozeil à la place Pasteur). Un recentrage intéressant sur les activités sociales : Trampoline, l’Accueil de loisirs, une extraordinaire diversification des activités, mais aussi la mise en place de « temps forts » qui s’installent dans le paysage montbrisonnais : la Fête du Livre jeunesse, la Semaine de la Solidarité internationale, le Printemps de l’Histoire, les expositions, la fête du centre social.
Cette division en générations est évidemment un peu artificielle puisque de nombreux militants du centre social appartiennent par leurs activités à plusieurs « générations ».
Quelques caractères originaux du fonctionnement du centre social
Le centre social a eu trois sièges successifs : rue des Clercs, rue Puy-du-Rozeil et place Pasteur. L’installation place Pasteur a été particulièrement bénéfique. Des locaux plus vastes - même si aujourd’hui ils sont utilisés à plus de 100 % - offrent une position centrale dans la ville. L’apaisement des tensions, l’aide financière de la Municipalité, le développement des activités ont permis un développement plus serein. Le dynamisme des bénévoles et des salariés a permis une augmentation régulière des adhérents, à Montbrison et dans le Montbrisonnais. Il y a aujourd’hui 1 500 familles adhérentes.
Des équipes se sont progressivement succédé à la tête du centre social, sans renier l’héritage et en innovant constamment : les bénévoles et les usagers ont gardé leur place dans la gestion du centre. Certes la place des salariés a augmenté - et le budget aussi. Mais ce sont les administrateurs qui définissent la ligne et décident, alors que beaucoup de centres sociaux, du fait du déclin général du bénévolat, sont gérés, de fait, par les salariés. A Montbrison, il s’est constitué un équilibre entre les bénévoles et les salariés : certes il a pu y avoir des tensions parce que les bénévoles peuvent avoir tendance à demander aux salariés d’être aussi des bénévoles ou parce que les salariés ont été inquiets, par exemple, lorsqu'une nouvelle convention a été signée entre la Fédération des centres sociaux et les syndicats et qu’une nouvelle définition des postes et une nouvelle grille des salaires ont été mises en place. Mais tous ont été d’accord pour éviter que des situations de rivalité et de concurrence entre les salariés ne faussent les comportements humains. Refus des excès, dévastateurs dans notre société, du « management ». L’amitié et la convivialité ont fait le reste.
Il y a eu, au centre social, à la fois continuité et renouvellement. Continuité : on quitte rarement le centre social ; si on a été président, membre du bureau, membre du comité de gestion, on continue à participer aux activités, à donner son avis à l’assemblée générale. La tradition veut qu’un président, une fois son (ou ses) mandat(s) terminé(s) reste un temps au bureau pour se mettre au service de son successeur. Etre élu, en effet, c’est non pas un honneur mais un service. Le rayonnement ne vient pas des titres mais des services rendus et de la considération générale. Renouvellement : les élus au comité de gestion viennent remplacer les sortants. Ils viennent souvent des activités et des commissions. On fait, par exemple, de la marche chaque semaine, on fait partie de Village de Forez, on est membre d’une commission, alors on entre au comité de gestion : chaque nouveau membre est élu par l’assemblée générale après avoir fait acte de candidature, il est élu pour deux ans, ce qui donne le temps de se former - au début on est parfois un peu perdu : « comment ça marche ? ». Le mandat moyen des présidents a été de 4 ou 6 ans, ce qui permet un renouvellement. Chacun apporte une vision différente des choses, prend des initiatives nouvelles.
La continuité est également assurée par les « permanents », « agents coordonnateurs » devenus officiellement « directeurs » : Gérard Rigaud, directeur de la partie « municipale » du centre au moment du conflit a joué un rôle très important dans le démarrage du centre social puis un rôle de « tampon » entre celui-ci et la Municipalité ; son rôle n’était pas facile ; Bernard Vial, Denise Saumet, Pascal Georges, Adeline Crépet sont venus ensuite. Il faut leur rendre un hommage particulier ainsi qu’aux autres salariés. Josiane Purvis, partie à la retraite, a passé plus de 30 ans au centre : Denise Saumet était revenue pour son départ, et les anciens administrateurs étaient présents.
Les administrateurs et les salariés du centre social ont toujours été dans une position singulière : « patrons » qui versent les salaires, mais qui sont bénévoles ; parfois syndicalistes ou anciens syndicalistes devenus employeurs au nom d’une association et soucieux de respecter le droit du travail pour lequel ils ont lutté. Quant aux salariés, ils ont souvent aussi donné de leur temps, par exemple comme bénévoles dans une activité. Il faut toujours rappeler que les bénévoles le sont complètement et n’attendent aucune faveur particulière, que les salariés sont des gens qui gagnent leur vie en faisant un travail mais qu’ils sont dans une association où ils créent eux aussi l’activité de cette association.
Le centre social a su se doter d’un mode de fonctionnement décentralisé qui, certes, est toujours à redéfinir et à rééquilibrer, mais qui constitue - c’est là un avis personnel - la réalisation d’une véritable utopie sociale :
- La vie démocratique est forte au centre social même si elle n’est pas très visible de l’extérieur. On parle souvent du centre social comme d’une « école de la démocratie ». Cette démocratie fonctionne d’abord au bureau qui s’est toujours réuni très souvent, avec parfois une concertation hebdomadaire (président, directeur et une personne du bureau) ; le bureau, c’est le « gouvernement » du centre social. Le comité de gestion en est le « parlement » : c’est peut-être son fonctionnement qui a toujours posé le plus de problèmes car, par définition, les membres du bureau qui préparent les dossiers, sont mieux informés et pourraient avoir tendance à imposer presque naturellement leurs solutions. Les débats dépendent donc de la capacité des membres du comité de gestion à s’approprier les problèmes et à donner leur avis. Pensons à cette occasion à Nicolas Tziganok, qui vient de disparaître, et qui n’était pas satisfait lorsqu’il jugeait qu’on n’avait pas assez discuté de tel ou tel point important ou parce que l’on votait à l’unanimité une décision : tout le monde avait-il dit son opinion ? La discussion et l’opposition des points de vue sont salubres. Les débats ont été parfois d’une belle intensité, avec des réflexions sur les problèmes de fond : Gérard Arnaud, ancien président de la Fédération, l’a souvent dit lorsqu’il assistait, ès qualités, à nos réunions. C’était une belle récompense.
- La gestion du centre social - un budget en 2012 de 625 000 euros - apprend aussi aux administrateurs la gestion d’une association et la rigueur financière. Le centre social est comptable des deniers publics puisqu’il reçoit des subventions publiques. Chaque année, l’assemblée générale vote non seulement le rapport moral mais aussi le rapport financier, validé par le commissaire aux comptes.
- Le travail des commissions est un élément essentiel de la démocratie au centre social. 20 commissions préparent et organisent les activités, anciennes et nouvelles. Elles ont mandat pour certaines décisions - même si le comité de gestion les valide - et sont finalement une sorte de contre-pouvoir au comité de gestion et au bureau. Il y a vingt ans, il y avait trois commissions, il y a dix ans, elles étaient dix, aujourd’hui 20. On comprend bien quel est le risque de cette formule : il ne faut pas que ces commissions s’érigent en baronnies qui prendraient des positions non contrôlées. Mais un membre au moins du bureau ou du comité de gestion en fait partie, un salarié suit leurs activités. Elles n’ont pas de pouvoir financier. Elles savent qu’elles peuvent s’appuyer sur la « logistique » du centre. Il peut en résulter parfois certains flottements et il faut remettre de la cohérence dans l’ensemble. Ce fonctionnement est sans doute un extraordinaire atout pour le centre social qui lui évite la bureaucratie et la paralysie et qui lui donne la capacité d’initiative qui est la sienne.
Vitalité, équilibre, capacité d’initiative
Au bout de ces quarante ans, quelques impressions ou analyses permettent de dégager ce qui fait l’unité de cette histoire :
Il y a d’abord, une impression de vitalité : quand on arrive au centre social, toutes les salles sont occupées, la cour est embouteillée, les activités sont multiples et variées. On veut une salle pour la semaine suivante, elles sont toutes prises. Mais on arrivera toujours à vous caser dans le bureau ou la cuisine. Des enfants vont et viennent. De nouveaux stagiaires passent chaque année. Pendant la Fête du Livre jeunesse, des centaines d’enfants reçoivent dans leurs classes des écrivains et des illustrateurs et acquièrent le goût des livres et de la littérature.
En 1977, il y avait 300 familles adhérentes, 600 en 1981, 900 vers 1998, aujourd’hui 1 500 familles, plus de 1 600 personnes (adultes et enfants) pratiquant une activité régulière, 8 000 personnes sont concernées, à un moment ou un autre, par une activité. Et surtout 250 bénévoles environ s’activent au centre social et se réalisent eux-mêmes dans l’activité choisie, ouvrent des portes qu’ils « croyaient souvent fermées à clef ». Si l’on donne, on reçoit. A parcourir la brochure 2012-2013, on constate que 80 activités sont proposées, dont 13 sont nouvelles. Les activités continuent donc de se renouveler et les idées foisonnent.
Vitalité aussi, on l’a dit, de la vie associative. Certes le temps salarié a beaucoup augmenté mais le nombre de salariés par rapport à celui des adhérents reste inférieur à celui de beaucoup d’autres centres sociaux. Le centre social a beaucoup de bénévoles. Il a peut-être plus de mal à trouver des « militants », engagés dans la société et ayant une vision globale de celle-ci. C’est un fait général. Mais il faut garder notre dynamisme et nous renouveler sans arrêt.
Le centre social réfléchit aussi constamment à son avenir : il doit d’ailleurs présenter tous les quatre ans un « projet », validé par la CAF, son principal financeur. L’élaboration du projet représente un gros travail de réflexion et de rédaction qu’il faut saluer. Il a remis l’action sociale et l’action en direction du quartier de Beauregard au centre du projet. Il faut aussi être conscient que des propositions nouvelles peuvent émerger en dehors de lui à partir d’initiatives individuelles. Souvent elles ont, au cours du temps, émergé de cette façon. On leur donne de la cohérence dans le projet suivant.
Le centre social agit aussi en réseau : réseau d’associations qui tiennent au centre social leurs permanences ou leurs réunions, nouent des partenariats avec le centre. Il porte l’antenne de l’Université de la vie associative. Ce déploiement des initiatives est parfois lié à l’économie sociale et solidaire.
Dans le centre social, des équilibres ont été atteints : équilibre entre les activités sociales et culturelles - qui, en fait, ne se séparent pas ; équilibre entre les activités destinées aux enfants - ce sont parmi les plus importantes - et celles qui concernent les « seniors ». Il y a peu d’adolescents, mais c’est plutôt le travail de la MJC. Il y a surtout de plus en plus d’activités pour enfants - dans un esprit d’ouverture : depuis le début, ou presque, des activités ont été mises en place pour les handicapés. Le soutien scolaire, l’aide aux devoirs, l’alphabétisation, ont pris une place importante. Equilibre et mixité entre les générations. Equilibre entre vie intellectuelle, activités manuelles, artistiques et culturelles. Le centre social donne, par sa vue d’ensemble, de l’unité à toutes les activités qui se déploient dans ses bâtiments et parfois en dehors de ceux-ci.
Un des caractères de l’histoire du centre social est aussi d’avoir su et de savoir réagir à l’événement. Ce n’est pas une action politique - même si certains peuvent être engagés par ailleurs. Le centre social est dans la cité et sa mission est aussi d’aider les citoyens à se construire une opinion. Ainsi, il y a déjà longtemps, furent organisées des soirées d’information et de débats sur la Déportation (la série télévisée Holocauste secouait l’opinion), la Pologne de Solidarnosc et de « l’état de siège », plus tard sur la Yougoslavie en guerre civile ; Nicolas Tziganok tonnait contre le terme de « purification ethnique » employé par Radovan Karadzic, le chef des Serbes de Bosnie pour qualifier lui-même sa politique. En 1989, ce fut la célébration du Bicentenaire de la Révolution française et la fondation d’un Comité qui obtint le label officiel et organisa de nombreuses manifestations. Et, après le premier tour de l’élection présidentielle de 2002, le centre social, à l’initiative de Jacques Martinez, a organisé la riposte à la menace d’une élection du leader de l’extrême droite. Une conférence sur cette extrême droite a rassemblé deux cents personnes. Chaque fois, l’histoire vient aider les citoyens à réfléchir.
Le centre social fonctionne aussi comme lieu de rencontre, d’échange, de réflexion. C’est un lieu d’ouverture et d’éducation populaire.
Lieu de rencontre : on vient aux activités aussi pour la rencontre. On « passe » au centre social, il y a toujours quelqu’un que l’on connaît, on « mange ensemble » au centre social. C’est souvent un des premiers lieux fréquenté par les nouveaux arrivants du Montbrisonnais.
Une forte activité culturelle
Les gens qui découvrent le centre social sont toujours étonnés de trouver autant d’activités culturelles. Cette orientation est née dans les années 1970 et s’est élargie ensuite. Il s’agissait alors d’insérer davantage le centre social dans la ville et d’élargir son domaine. On peut presque tout faire dans un centre social et il y a une histoire particulière dans cette politique culturelle : d’abord le groupe Patois vivant créé par Joseph Barou et André Guillot publia un Bulletin ; ce groupe existe toujours. A la même époque, une Université Populaire, animée par Jean-François Skrzypczak, permit aux militants et aux citoyens de continuer à se former dans tous les domaines de la culture. Les Soirées du vendredi de Jacques Martinez ont pris le relais, avec une ouverture sur le monde. Il y eut aussi au centre social le groupe Vivement Jeudi fondé par Françoise Lafin, qui faisait, entre autres, du théâtre ; le groupe audiovisuel de Jacques Martinez ; la Fête du livre pour enfants issue en 1997 de la commission Petite enfance et portée par une forte équipe, appuyée par le CRILJ-Loire ; les cours d’histoire et de littérature. L’Université de la vie associative y trouve aussi sa place ; en 1980, création de Village de Forez, revue d’histoire locale qui a pris, depuis, toute sa place, « espace de liberté » qui permet l’ouverture de nouveaux chantiers. Jo Barou en est le maître d’œuvre. Ces dernières années furent publiés de nombreuses études et témoignages concernant l’évolution de l’agriculture, la langue, la vie quotidienne des campagnes foréziennes. C’est une inscription dans un territoire. Le champ de recherche s’élargit aussi à l’occasion des Printemps de l’Histoire : l’histoire industrielle, la guerre de 1914-1918, l’histoire du sport, l’histoire de la fourme, l’histoire de la Résistance, l’histoire de la population montbrisonnaise. A côté de la revue semestrielle, des collections nouvelles sont apparues dans les Cahiers de Village de Forez : « Histoire et citoyenneté » et aussi « Ecritures » qui accueille les poètes du groupe des Compagnons de la Boutasse. C’est la mise en œuvre ce que disait Marguerite Gonon : « Il n’y a pas de culture sans partage des connaissances. »
L’indépendance
Ouverture, éducation populaire, autonomie des activités et des individus, diversité des hommes et des femmes, mixité sociale, actions en direction des enfants mais aussi de toutes les générations, attention portée aux autres dans un esprit qui vise à leur redonner la maîtrise de leur vie, ouverture sur l’ensemble de la ville (Beauregard) et du territoire (le Pays de Forez). Ce sont là quelques aspects essentiels pour comprendre ce qu’a fait le centre social depuis 40 ans.
Par-dessus tout, l’indépendance ! Le respect des statuts, l’équilibre du budget, le niveau important de l’autofinancement, la place des militants et des bénévoles, l’implication des salariés, la volonté « politique » qui est essentielle, permettent cette indépendance. Le centre social est ainsi un lieu de réflexion, de propositions intellectuelles et concrètes devant les difficultés sociales, et souvent même de résistance aux idées du moment (le néolibéralisme à tous crins, par exemple).
Le centre social, objet d’étude
Le centre social a fait l’objet de plusieurs études : Gérard Rigaud fut le premier à rédiger un mémoire, presque « clandestin », car il avait, en plein conflit, une situation personnelle difficile, au point stratégique du conflit. Il a soutenu son mémoire, avec un jury présidé par Maurice Damon qui ne se doutait pas qu’il deviendrait lui-même, plus de 20 ans après, président du centre social.
Le mémoire de Pascal Georges sur les militants du centre social a été soutenu dans le cadre de la formation continue et a ouvert toute une réflexion féconde. Des sociologues de Lyon sont venus en observateurs et se sont intéressés à Village de Forez et aux publics de la Fête du livre. Le travail de Joël Jallon se situe dans une volonté d’ouvrir les archives, de présenter des éléments pour l’histoire, de rendre leur part à tous ceux qui ont fait le centre social.
Pourquoi faites-vous tout cela ?
Enfin, on pourrait poser à tous les bénévoles et militants du centre social la question : mais pourquoi faites-vous tout cela ? On peut tenter quelques réponses : recherche de l’action collective dans une société éclatée et individualiste ? recherche de l’épanouissement personnel ? engagement de nature « politique » moins pris en compte aujourd’hui qu’autrefois par les partis ou les syndicats et qui s’investit dans le milieu associatif ? Un peu de tout cela sans doute. Il y aurait encore beaucoup à dire, de nombreux acteurs à mettre en lumière. L'étude réalisée par Joël Jallon et les textes qu'il publie veulent avoir cette fonction.
L’aventure du centre social est de celles qui donnent du sens à la vie et c'est une aventure qui continue.

Claude Latta