Maurice Damon

 
 

CAHIER N° 160

Le rire du patois
Les farces, les simples d’esprit, le vin, le sexe

Malgré toutes leurs différences, les veillées « patois vivant », qui ont réuni un public nombreux, joyeux et fidèle pendant de nombreuses années au centre social de Montbrison ne sont pas sans point commun avec les anciennes veillées de village entre voisins. Dans l'un et l'autre cas, on est de connivence, dans un entre-soi qui exclut de fait ceux qui ne comprendraient pas la langue patoise forézienne. Si, dans les soirées montbrisonnaises, quelque orateur se laissait aller à parler français, il était vite rappelé à l'ordre par la salle : En patois, en patois ! Et puis, veillées de village et soirées « patois vivant » ont partagé le même goût pour l'humour, avec sa manifestation sonore, le rire, au point qu'on pourrait penser que c'est leur première raison d'être. Pour nous en convaincre, écoutons d'abord celles qui font appel aux souvenirs des veillées de leur jeunesse :
Antoinette Meunier : Pour se distraire, il y avait les veillées. Pour déchaîner les rires, les blagues se croisaient. Nous avions surtout un voisin qui était bien drôle [...]. Nous les aimions bien, nous, les jeunes, les veillées. Nous chantions des chansons, nous faisions chanter les vieux, et puis, parfois, nous chantions en dansant la bourrée.
Marthe Défrade : Alors ça se faisait tout aux veillées. Il y avait pas de télé en ce moment. Quand on était une bande, tu riais bien parce que la veillée durait plus que...
Thérèse Guillot : Quand arrivait l'automne, il commençait à y avoir des veillées, le dimanche [...]. Il y a une veillée, chez Masson, chez la Patrick, le dimanche qui vient. Ça se disait dans le hameau [...]. Alors on y allait [...]. Alors s'il y avait du monde, on disait : Ben, mon vieux, il y a pour rire, on va s'amuser… Il était tellement farceur, Victor. On s'amusait comme ça. On se faisait bien rire.
On se faisait bien rire. On s'est fait bien rire aussi dans les soirées « patois vivant ». Les orateurs sont d'ailleurs là pour ça : Je vais vous faire rire un petit moment (Maria Avignant). Quand ce n'est pas le cas, on prend soin de le préciser, comme pour s'en excuser : Alors je ne vais pas vous raconter une histoire bien rigolote Maurice Brunel . Le même, une autre fois, se reprend et va raconter une farce. Nous voilà rassurés ! Plusieurs orateurs font de même : c'est une farce, annoncent-ils d'entrée.
Certains estiment nécessaire de faire une distinction, à leurs yeux importante. Je vais vous raconter une histoire, mais qui est vraie . J'ai l'habitude de raconter des histoires mais ce que je vais raconter aujourd'hui, c'est vrai. Je l'ai vécu . Il y a donc des histoires « vraies », assez exceptionnelles pour qu'on les remarque parmi un grand nombre d'autres qui, alors, seraient « fausses ». Si le contenu de certaines histoires est vérifiable parce qu'elles ont été vécues par l'orateur ou observées par des témoins, elles n'en sont pas moins, telles qu'elles sont racontées, destinées à plaire à un public. C'est parce qu'il y a pour rire qu'elles méritent d'être racontées comme des histoires. L'effet appartient alors au talent du conteur.
Les histoires qui seraient « fausses », elles, retiennent des événements divers de la réalité, reconnaissable par les auditeurs, et les intègrent dans un récit composé comme un conte, destiné à une démonstration. Au fond, toutes les histoires pour rire sont en partie vraies, en partie fausses, c'est-à-dire de vraies fictions. C'est au rire, tel qu'il s'est manifesté au cours des veillées, qu'on va s'intéresser, au rire du patois.
De quoi, de qui rit-on ? Pourquoi rit-on ? Pour chercher des réponses, le parti a été pris de se limiter strictement au corps même des plus de trois cents récits qui constituent le fonds des veillées « patois vivant », sans faire appel à des commentaires ou interprétations puisées à d’autres sources ? La méthode voudrait se justifier en ce que les conteurs et leur public, pas dupes de ce qu’ils disent ou entendent, savent ensemble rire d’eux-mêmes, et se comprendre : leurs rires, comme leurs propos, ont leur propre logique interne. Rire, c’est dire, sans les mots. À nous, à la lecture et à l’écoute de toutes ces histoires, de tenter de saisir ce que révèlent ces rires et de composer, à notre tour, un récit qui en rende compte.
Quatre thèmes à rire traversent les soirées « patois vivant » : les farces, les simples d’esprit, le vin, le sexe.

Les cahiers de Village de Forez sont publiés par
le Groupe d’histoire locale du centre social de Montbrison.