CAHIER n°77

Jean Michel Steiner, Claude Latta et Bernatd Teper,

Le programme du Conseil National de la Résistance

Sommaire
Présentation
Document : l’affiche des conférences de 2009 4
Claude Latta : Avant-propos : Histoire et engagement citoyen 5
Jacques Martinez : Présentation : Programme du Conseil national de la Résistance.
Origine, mise en application, actualité 7
Conférences
Jean-Michel Steiner : L’écriture du programme du CNR 9
Claude Latta : Les grandes réformes de 1944-1946 et l’application du programme du CNR 20
Bernard Teper : Mort annoncée des avancées sociales portées par le programme du Conseil national de la Résistance ? 32

Documents
Le texte du programme du Conseil national de la Résistance 40
L’appel à la commémoration du 60e anniversaire du programme du CNR (2004) 45

Avant-propos : Histoire et engagement citoyen
L’histoire et l’engagement
L’association ATTAC Forez a organisé, à l’automne 2009, une série de conférences sur la genèse et l’application du programme du Conseil national de la Résistance ainsi que sur son actualité. Mon collègue Jean-Michel Steiner, professeur d’histoire à Saint-Etienne, et moi-même avons traité du programme du CNR : Jean-Michel Steiner a expliqué dans quelles conditions et par qui ce programme avait été élaboré. J’ai ensuite expliqué comment les grandes lignes de ce programme avaient été mises en application en 1944-1946 dans la France libérée. Puis Bernard Teper, au nom d’ATTAC dont il est vice-président national, a animé une troisième soirée, plus « militante », au cours de laquelle il a montré l’actualité de ce programme et la façon dont les grandes réformes de la Libération sont aujourd’hui démantelées.
L’ensemble des trois textes qui sont ici co-édités par les Cahiers de Village de Forez - dans leur collection « Histoire et Citoyenneté » - et par ATTAC Forez pose le problème des rapports entre l’Histoire et l’engagement politique ou, au sens large du terme, l’engagement « citoyen ». Les historiens ont naturellement, au point de vue déontologique, un devoir de vérité et de recherche de l’objectivité. A eux de dire quels ont été les événements, comment ils se sont passés, quelles étaient les motivations des uns et des autres, quelles sont les interprétations et les analyses que l’on peut proposer aux lecteurs : ce qui ouvre la discussion. Aux militants et aux citoyens de dire ensuite quelles leçons ils en tirent et en quoi la connaissance de l’Histoire d’une période les aide à réfléchir et à proposer des mesures pour notre temps. Les discussions qui ont suivi nos exposés ont commencé d’ailleurs ce travail d’interprétation et de réflexion.
La connaissance de l’Histoire est ici, certes, une arme pour les militants mais ceux-ci doivent cependant respecter les différences de nature entre le travail de l’historien et l’argumentation du citoyen engagé. C’est ce que nous avons essayé de faire ici en distinguant les travaux des historiens et le discours du vice-président d’ATTAC France.
Les historiens dans la mêlée
Nous savons bien cependant qu’on ne choisit pas au hasard les sujets que l’on traite ou que l’on accepte de traiter. Et d’ailleurs, pendant la seconde guerre mondiale, nombre d’historiens se sont engagés dans la Résistance et ensuite dans l’Histoire de celle-ci.
L’historien est aussi un citoyen engagé dans les affaires de la Cité : comment se désintéresserait-il de celles-ci alors que le présent qu’il vit est la matière vivante que les historiens du futur vont étudier - et lui-même participera peut-être à cette étude, par ses souvenirs ou par l’étude elle-même ; il devra alors, dans une sorte de dédoublement, reprendre les habits et les règles de l’historien. Ainsi Renée Bédarida, jeune étudiante et militante de Témoignage Chrétien, est-elle devenue l’historienne du mouvement auquel elle avait participé . Ainsi Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, est-il devenu le biographe de son ancien « patron » en donnant aussi, mais à part, ses propres Mémoires …
Les historiens ont aussi donné leur part à la Résistance : dans la promotion 1925 de l’agrégation d’histoire - les lauréats ont 40 ans en 1939-1940 -, il y a, à la fois Georges Bidault, successeur de Jean Moulin, à la présidence du CNR, Pierre Brossolette, délégué du général de Gaulle en zone Nord - arrêté, il se suicide pour ne pas parler -, et Louis Joxe qui est à Alger auprès du général de Gaulle après avoir été, comme Jean Moulin, au cabinet de Pierre Cot pendant le Front populaire de 1936. Marc Bloch, le fondateur de la revue et de « l’école » des Annales, médiéviste, l’un des nos plus grands historiens, est membre du mouvement Combat et rédacteur en chef des Cahiers du Comité général d’études qui prépare les grandes réformes de 1944. Arrêté, il est fusillé par les Allemands. Un autre médiéviste, Edouard Perroy, professeur à la Sorbonne, se réfugie dans la Loire dont il est originaire et devient l’un des chefs de la Résistance ligérienne, membre du CDL (Comité départemental de la Résistance) en 1944. Pendant « les loisirs forcés que [lui] laisse une passionnante partie de cache-cache avec la Gestapo », il écrit, sans notes et sans ses livres, une Histoire de la guerre de Cent ans : dans son pays occupé, il comprenait « de l’intérieur » comment les Français de l’époque de Jeanne d’Arc réagissaient à la défaite et au « règne de l’étranger ».
L’histoire est un moyen pour réfléchir à l’avenir. La Résistance employa aussi les armes de l’esprit à la fois pour analyser le présent, rappeler les valeurs de la République et de la patrie, et imaginer l’avenir.
Un événement emblématique
Imaginer l’avenir : le programme du Conseil national de la Résistance fut l’aboutissement d’une volonté qui se manifesta très tôt, dans les mouvements de Résistance, de faire de la Libération une véritable révolution à la fois morale, civique, politique, économique et sociale. A la victoire des armes de la France, s’ajoutèrent en 1944-1945, intimement liées à elle, les réformes qui changèrent le visage de la France.
Le programme du CNR est ensuite devenu emblématique : d’abord parce qu’il a été, dans sa très grande partie, réalisé - ce qui n’est pas si fréquent -, ensuite parce que, « charte de la Résistance », il est devenu l’un de ces repères dont chaque peuple a besoin : comme, en France, le sont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’abolition de l’esclavage en 1848 ou la loi de Séparation de 1905. Les principes énoncés dans le programme du CNR se retrouvent d’ailleurs dans le préambule de la Constitution de la IVe République : celui-ci a été intégré dans la Constitution de la Ve République et a une valeur constitutionnelle (le fameux « bloc de constitutionnalité » défini en 1971 par le Conseil constitutionnel) qui lui donne tout son poids.
Les armes du renouveau
Faire de l’histoire, ce n’est pas s’isoler dans la tour d’ivoire de l’érudit, c’est aussi essayer de comprendre son temps à travers les héritages du passé. Le rôle de l’historien est de rappeler, encore et toujours, qu’il n’y a pas de fatalité en Histoire : ceux qui ont affirmé la possibilité et la nécessité morale de la Résistance ont eu raison contre les « réalistes » qui ont voulu « composer » avec les vainqueurs et y ont perdu leur âme. Le CNR a forgé, en préparant son programme d’action et de réformes, les armes du renouveau.
Claude Latta

collection "Histoire et citoyenneté"

ce numéro est édité en collaboration avec Attac Forez

44 p

Avril 2010, format 21x29