CAHIER n°66

Roger Briand,

Jean Bonnassieux, sculpteur de madones…

L'ouvrage est une coédition de La Diana, Village de Forez et l'A.C.P.R. (Association culturelle de Panissières et sa région). Il est disponible à La Diana, au Centre social de Montbrison et à Panissières auprès des responsables de l'A.C.P.R.

Panissières fêtera en 2010 le bicentenaire de la naissance de l'un de ses enfants : le sculpteur Jean Bonnassieux (1810-1892). C'est l'occasion de redécouvrir un artiste de talent et un personnage attachant aujourd'hui un peu oublié.
Jean Bonnassieux est surtout connu pour avoir exécuté en 1857 la maquette de Notre-Dame-de-France au Puy. Cette réalisation, parfois contestée, fut retenue à la suite d'un concours national qui réunit 53 sculpteurs. Malgré une brillante carrière et les honneurs parisiens, l'homme est toujours resté fidèle au Forez natal. Il fut vice-président d'honneur de la Diana qui s'adressa à lui pour exécuter la statue de Victor de Laprade, le poète et académicien forézien….
En puisant aux meilleures sources, les archives familiales des Bonnassieux, Roger Briand a rédigé une riche biographie de ce Forézien fidèle qui fut surtout un "sculpteur de madones". Ce travail a demandé de longues recherches. Il est préfacé par Antoinette Le Normand-Romain, directeur général de l'Institut National d'Histoire de l'art. Nul doute qu'il fera référence.

Si le nom de Bonnassieux n’est peut-être familier aujourd’hui qu’aux lecteurs des Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas (et sous une orthographe un peu différente), beaucoup connaissent en revanche son œuvre principale, ne serait-ce que par ses dimensions, la Vierge monumentale du Puy-en-Velay.
Et pourtant Bonnassieux pourrait presque constituer un cas d’école. Issu d’un milieu simple, formé à l’école des beaux-arts de Lyon, il vint à Paris en 1834 et entra dans l’atelier d’Auguste Dumont, lui-même lauréat du concours de Rome en 1823. En 1836 il obtint à son tour le Prix de Rome ce qui lui permit de passer cinq ans à la villa Médicis et on peut imaginer ce que représentait pour un jeune Français, originaire d’une région austère, la découverte de l’Italie : « Que Rome est belle et puissante sur l’âme d’un artiste ! On ne peut rester froid devant elle, devant ses richesses qui étonnent et grandissent l’intelligence. […] Là, les chefs-d’œuvre sont entassés ! Le Capitole, la villa Albani et le Vatican m’effrayent chaque fois que je les visite. Cependant c’est le grand livre que je dois et vais feuilleter sans cesse », écrit-il à son maître, Dumont, le 8 juillet 1837. Ou encore, deux ans plus tard, à un ami : « Je m’habitue au bonheur. C’est si facile. »
Le directeur de l’Académie de France à Rome, à cette période, n’était autre qu’Ingres. Il exerça sur Bonnassieux une forte influence dont témoigne le dernier « envoi » du jeune sculpteur, un David enfant, qui apparaît comme un compromis entre son désir – déjà – de choisir un sujet religieux, et la volonté affirmée du directeur de le voir opter pour l’histoire ancienne. Exposé au Salon de 1844 et acquis par l’État, David fut brisé au moment d’être expédié à Lyon, au grand chagrin de son auteur. Il constitua pourtant le point de départ d’une carrière officielle, rythmée par les envois au Salon, l’exposition annuelle qui était pour les artistes le principal moyen d’entrer en contact avec le public, les commandes publiques et les distinctions officielles : Légion d’honneur en 1855 ; élection à l’Académie des Beaux-Arts en 1866.
Bonnassieux était arrivé à Paris juste après le combat romantique, lié pour la sculpture aux Salons de 1831 et 1833, avec des artistes comme Barye, Duseigneur, Rude, Préault, Etex, Moine, Triqueti qui furent ensuite systématiquement écartés par les instances officielles. On peut toutefois se demander s’il eut même conscience de cette tentative de renouveau car il est évident que son propre tempérament le portait plutôt vers le sage néo-classicisme dont la villa Médicis était le bastion, sous la pression de l’Académie des Beaux-Arts renforcée à cette période par la présence d’Ingres. Celui-ci quitta Rome en 1841 mais la situation resta identique pendant une dizaine d’années encore et, une fois de retour à Paris, Cavelier, Guillaume, Perraud, Thomas, fervents représentants du néo-classicisme, se virent combler d’honneurs. Il fallut attendre des artistes comme Carpeaux (Prix de Rome en 1854), Chapu, Falguière, Mercié, Barrias, etc. pour que la sculpture évoluât vers une approche plus directe de la nature, traduite par un modelé plus réaliste et un choix de sujets influencés par la Renaissance italienne ou inspirés du monde contemporain.
Très liée à une volonté politique, dépendante de la prospérité économique, la sculpture connut une période faste sous le second Empire. Bonnassieux, et il n’est pas le seul, se consacra alors aux travaux de commande : La Méditation, présentée à l’Exposition universelle de 1855, est la dernière œuvre créée de sa propre initiative.

Au lieu de continuer dans cette voie, relevant d’un néo-classicisme élégant, amplement drapé car le nu ne l’attirait guère, il se consacra en effet au portrait, pour lequel il bénéficia de nombreuses commandes de l’aristocratie, aux monuments publics et à la sculpture religieuse vers laquelle le conduisait son engagement catholique. On connaît l’Album des douze statues de la Vierge par Bonnassieux, publié en 1879, cet album rassemblant des statues disséminées sur tout le territoire français, dont la plus fameuse est donc Notre-Dame-de-France, fondue avec les canons pris à Sébastopol et érigée au Puy en 1860.
Bonnassieux a bénéficié du renouveau d’intérêt pour le XIXe siècle suscité par l’ouverture du musée d’Orsay, mais s’il occupe une place privilégiée dans le panorama des sculpteurs actifs à cette période, c’est grâce à un fonds documentaire très complet qui permet d’aller plus loin dans la connaissance de l’artiste et de ses mécanismes psychologiques. L’ensemble avait été partagé à sa mort entre ses deux enfants, mais ceux-ci, puis leurs descendants, ont eu le mérite de le conserver intact. Nous-mêmes avons eu la chance d’être accueillie par son arrière-petite-fille, Cécile Armagnac, dans la maison même que Bonnassieux avait acquise en 1854, et dans laquelle il est mort. Après la disparition de celle-ci en 1997, une autre branche familiale a, de façon très volontariste, reconstitué et même enrichi cet ensemble. Il faut rendre hommage de façon plus générale à la constance et au dévouement des enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants (il est rare de pouvoir aller plus loin) grâce auxquels demeure vivante la mémoire d’un artiste, et à la générosité avec laquelle ils mettent cette documentation à la disposition des chercheurs. Qu’il nous soit permis dans ce contexte d’évoquer le souvenir de François Bonnassieux si heureux, il y a trente ans, que l’on s’intéresse enfin à son aïeul.
Antoinette Le Normand-Romain directeur général de l'Institut national d'Histoire de l'Art