CAHIER n°44

Gérard Berger,

Du travail à domicile à l’usine dans le pays de Saint-Bonnet-le-Château (XVIIIe-XXe siècle) :serrurerie, armurerie, rubanerie, dentelle

Ce cahier est consacré à l'une des communications du Printemps de l'histoire d'avril 2007.

Couverture : Vieille maison à Saint-Bonnet-le-Château, dessin de madame Condamin, gravure extraite de l'ouvrage de Félix Thiollier, Le Forez pittoresque et monumental.

On connaît aujourd’hui Saint-Bonnet-le-Château comme « capitale mondiale de la boule de pétanque » (ainsi que le disent les panneaux publicitaires aux entrées de la ville), une capitale qui possède, en la commune même ou dans ses environs immédiats, deux sociétés et, par là, deux unités de production vastes et modernes qui méritent de porter le nom d’« usine », les « Boules J.B. » et la « Boule Obut », lesquelles emploient un nombreux personnel et atteignent une production considérable. Voici six ou sept cents ans, au Moyen-âge, c’était la coutellerie qui assurait, surtout par les forces – c’est-à-dire de grands ciseaux utilisés essentiellement pour tondre les moutons – qu’elle fabriquait, le renom de la cité et de ses alentours, renom qui se perpétuait encore au début du XVIIe siècle, où Anne d’Urfé présentait « Sainct-Bonnet-le-Château » comme « la ville où se font les meilleures forces à tondre dras qu’on sache en lieu du monde » : de multiples ateliers, de forge pour les uns, d’aiguisage pour les autres, constituaient alors autant d’unités de production de petite taille, pratiquant en quelque sorte le « travail à domicile ». De cette structure du passé à celle d’aujourd’hui, l’évolution a été longue et complexe, quatre activités essentielles, mais différentes de celles qu’on vient de citer, se trouvant concernées, deux masculines – la serrurerie et l’armurerie – et deux féminines – la rubanerie et la dentelle – ; elle a aussi été difficile, souvent hésitante même, le début du XXe siècle correspondant toutefois au tournant capital. Essayons d’en brosser les grands traits .

Conclusion
De cette histoire des principales industries de Saint-Bonnet-le-Château et de son pays, du XVIIIe siècle au XXe, deux caractéristiques ressortent incontestablement.
La première concerne le fait que, sur la longue durée, c’est-à-dire sur les quelque trois siècles que recouvre cette étude, l’activité industrielle, non seulement de la cité elle-même, mais aussi de ses alentours ruraux, a été constante et marquante. Qu’elle ait pu donner lieu à un essor, en telle ou telle branche, à un moment, et à un recul à un autre moment, qu’elle ait pu contribuer largement, un temps, au développement de tel ou tel secteur géographique, et, un autre temps, à sa régression, ce ne sont que des nuances temporelles ou spatiales : l’essentiel, en définitive, réside dans l’existence, durant deux cent cinquante à trois cents ans, sur un territoire en partie urbain et en partie rural, de plusieurs centaines de travailleurs, tant femmes qu’hommes, allant de l’ouvrier saisonnier au fabricant ou au négociant, en passant par l’ouvrier permanent et le « patron » intermédiaire. Sans doute y a-t-il là un peu de l’« âme » sambonitaine…

La seconde caractéristique concerne un temps, bref mais spécifique, parce que moment-charnière, au sein de cette longue durée : les premières années du XXe siècle. Alors, en effet, décline nettement et irrémédiablement la serrurerie et s’amorce le recul de la dentelle : s’annoncent ainsi la fin des activités typiquement protoindustrielles, la disparition du travail à domicile, et donc la mort de la composante rurale de l’activité industrielle. Parallèlement, tant dans la rubanerie que dans l’armurerie, se mettent en place des unités de production d’un genre nouveau et de grande taille, rassemblant tâches et travailleurs : ces unités ont beau, parfois, distribuer encore un peu de travail dans la campagne environnante et laisser ainsi miroiter la subsistance d’une activité industrielle rurale, c’est vers la concentration en usine des machines, des ouvriers, des matières premières, des produits fabriqués, et vers la concentration des usines dans le milieu urbain, qu’on s’oriente. Ainsi, comme les roses, la Belle Époque, pour le pays sambonitain, possède à la fois des fleurs et des épines…