CAHIER n°39

Claude Latta,

Georges Clemenceau (1841-1929)

Collection "Histoire et citoyenneté" ; 21 X 29,7

Le premier cahier de Village de Forez dans la collection "Histoire et citoyenneté" est consacré à Georges Clemenceau (1841-1929). Claude Latta reprend le contenu de l'une de ses conférences prononcées à l'Université pour tous. Il campe avec brio ce grand républicain à l'imposante silhouette et à la très forte personnalité…

Ce cahier de Village de Forez est le premier de la collection Histoire et citoyenneté.
Cette collection souhaite offrir aux lecteurs de Village de Forez des éléments de connaissance et de réflexion sur l’histoire contemporaine. Les conférences et les travaux, faits à Montbrison et dans le Forez, dans le cadre des institutions et des associations locales qui mettent au premier plan de leurs préoccupations le souci de la culture, de la formation des citoyens et de la connaissance de l’histoire contemporaine trouvent leur place dans cette collection. Ils témoignent de l’effort fait, en ce domaine, dans le Forez.
Ce cahier consacré à Georges Clemenceau reprend le texte, revu et augmenté, d’une conférence faite à l’Université pour tous (antennes de Montbrison, Rive-de-Gier et Boën) en 2005 et 2006. Pour lui laisser la spontanéité de l’oral, nous n’avons pas mis de références dans des notes infrapaginales. Mais nous avons ajouté une bibliographie et l’indication de lieux de mémoire où le touriste amateur d’histoire peut retrouver le souvenir du « Père la Victoire ».
Le nom de Clemenceau se prononce comme Clémenceau mais s’écrit sans accent sur le e.

11 novembre 1918, il est 4 h de l’après-midi. Venant de l’Elysée où il a assisté au Conseil des ministres, le président du Conseil Georges Clemenceau monte à la tribune du Palais Bourbon pour lire les clauses de l’armistice qui vient d’être signé à Rethondes et qui met un terme à la guerre. L’homme a 77 ans, une tête de vieux Gaulois : le crâne chauve, les pommettes saillantes, les moustaches tombantes, des yeux perçants enfoncés dans leurs orbites. Il est vêtu d’une jaquette noire à bouts carrés, cravate noire et gants gris qui ne le quittent jamais. Pendant plusieurs minutes, les acclamations des députés debout et des spectateurs des tribunes montent en une énorme vague pour lui rendre hommage. Clemenceau lit le texte de l’armistice dont la représentation nationale a la primeur. La lecture de chaque article est ponctuée d’applaudissements. Ecoutons sa conclusion : « Au nom du peuple français, au nom de la République française, j’envoie le salut de la France, une et indivisible, à l’Alsace et à la Lorraine retrouvées. » Un temps d’arrêt. « Et puis, honneur à nos grands morts qui nous ont fait cette victoire ! Pour eux, nous pouvons dire qu’avant tout armistice, la France a été libérée par la puissance de ses armes. Quant aux vivants, […] nous les attendons pour la grande œuvre de reconstruction sociale. Grâce à eux, la France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’Humanité, sera toujours le soldat de l’Idéal ».
Les députés entonnent la Marseillaise, reprise par le public. Et tandis que le chef du gouvernement se rend au Sénat, la Chambre vote une loi proclamant que « le citoyen Georges Clemenceau, les armées de la République, le maréchal Foch ont bien mérité de la Patrie ». A la demande d’Albert Thomas qui vient de signaler la présence dans les tribunes du public de deux députés protestataires d’Alsace, Weil et l’abbé Emile Wetterlé, les députés se lèvent pour les acclamer. Clemenceau qui a salué le retour de l’Alsace-Lorraine est alors le seul survivant des 106 députés qui, à Bordeaux, le 1er mars 1871, ont voté contre les Préliminaires de paix parce qu’ils ne voulaient pas se résigner à l’abandon de l’Alsace et de la Lorraine.
Image d’Epinal, certes, que cette scène patriotique du 11 novembre, mais qui exprime la vérité d’un homme qui sut s’identifier, en 1917-1918, à la volonté de vaincre l’envahisseur et de reprendre les provinces perdues en 1871. Au-delà de cette image, il y a aussi la longue et étonnante carrière politique d’un républicain qui trouve ici son apothéose. Georges Clemenceau, député à 30 ans, fut parlementaire pendant presque un demi-siècle, de 1871 à 1919, avec une interruption en 1893-1902, ministre de l’Intérieur en 1906 – il entre pour la première fois dans un gouvernement à 65 ans – puis président du Conseil de 1906 à 1909 et enfin en 1917. Il est « le Tigre » puis « le Père la Victoire » et le négociateur du Traité de Versailles. Il fut aussi médecin, professeur de français aux Etats-Unis, maire de Montmartre en 1870-1871, romancier, journaliste - il dirige le journal L’Aurore dans lequel Emile Zola publie son fameux « J’accuse », article dont il a trouvé le titre. Un tempérament. Un homme, avec ses grandeurs et ses faiblesses.

Le destin du citoyen Georges Clemenceau
« C’est la mort qui transforme la vie en destin » écrit André Malraux. Qu’est-ce qui donne son unité à la longue vie de Clemenceau ? D’abord l’amour de la République, « une et indivisible », « démocratique et sociale », et laïque, celle qu’il a héritée de son père. Le désir violent de redonner à la France les provinces perdues dans l’humiliation de 1871 est un autre fil conducteur de cette longue existence. Clemenceau est entré vivant dans notre Histoire.
Un grand homme d’Etat est toujours celui qui, croyant dans la force de la volonté, sait faire face à des circonstances exceptionnelles qui le portent au-delà de lui-même et qui est capable d’incarner une idée ou un pays. On oublie alors ses défauts et pourtant Clemenceau en avait : coléreux, rancunier, autoritaire, souvent insupportable. Mais il a su incarner, dans notre Histoire, après les Jacobins de 1792 et après Gambetta, la défense sans faiblesse de la « Patrie en danger » et, comme De Gaulle en 1940, le refus de la défaite. C’est l’année 1918 qui transforme en destin la vie du citoyen Georges Clemenceau.