CAHIER n°30

Claude Latta,

Anne Dauphine, comtesse de Forez,

Anne Dauphine d’Auvergne était la fille de Béraud II, dauphin d’Auvergne, et de Jeanne de Forez, elle-même fille du comte Guy VII. Elle fut comtesse de Forez par héritage et duchesse de Bourbon par mariage. C’est à cette comtesse de Forez que nous allons nous intéresser, à cette petite Anne Dauphine, promise tout d’abord à un destin modeste dans le minuscule dauphiné d’Auvergne et qui devint l’épouse du duc Louis II de Bourbon, chef de la branche cadette des Capétiens, la belle-sœur du roi de France Charles V. En 1372, elle a porté le Forez dans le domaine bourbonnais. Elle est aux côtés du duc Louis II, son époux, lorsqu’il administre ses états. Elle a d’ailleurs, après la mort du duc Louis II en 1410, administré le Forez depuis son château de Cleppé et réussi à tenir son domaine à l’écart des affrontements fratricides de la guerre de Cent ans. Morte à Cleppé en 1417, elle est enterrée à Souvigny, près de Moulins.
Les comtes de Forez étaient les vassaux du roi de France. Appartenant à une lignée qu’avaient illustrée Guy IV et Jean Ier, ils avaient construit un véritable état, ayant les aspects de la modernité : des institutions précocement organisées (avec par exemple une Chambre des comptes, créée dès 1317), une économie prospère, irriguée par le passage du « grand chemin de Forez », des villes qui, telle Montbrison, avaient connu au XIIIe siècle un bel essor et qui s’organisaient en un véritable réseau de villes murées avec Sury-le-Comtal, Feurs, Saint-Galmier, Boën, Saint-Germain-Laval, un territoire lui-même protégé par de bonnes forteresses comme Chalmazel et Couzan. Mais, à partir de 1346, le royaume de France est frappé par la guerre de Cent ans : nous sommes dans le passage d’une situation de prospérité et de paix intérieure à une situation de crise, d’invasion et de guerre civile.
Les travaux récents d’André Leguai, de Christian Frachette, d’Olivier Troubat, d’Olivier Mattéoni nous permettent d’esquisser les grandes lignes d’un destin de femme : approche biographique qui pose de nombreuses questions sur le système féodal, son fonctionnement, ses modes de transmission du pouvoir. A travers Anne Dauphine, c’est l’histoire du Forez qui est évoquée, avec en particulier l’épisode de la succession comtale de 1372. Il nous manque cependant la voix d’Anne Dauphine, les textes qui lui donnent vraiment la parole. Nous la voyons seulement à travers les événements de sa vie et, dans la dernière partie, à travers les actes de son gouvernement.
Le Forez a gardé le souvenir d’Anne Dauphine parce que, avec elle et pour la dernière fois, il est gouverné de façon autonome par rapport au duché de Bourbon. Elle ne s’est pas contentée de l’apparence du pouvoir et a gouverné en souveraine absolue. Elle avait le sens de l’état et de son indépendance. Elle avait été une femme respectueuse des pouvoirs de son mari et avait sans doute beaucoup appris de lui. Une fois veuve, comme il arrive parfois, elle donna toute sa mesure, obtenant une liberté qu’elle mit à profit pour exercer un pouvoir auquel elle avait droit et montrer ses qualités d’homme d’Etat. Anne Dauphine nous donne l’exemple d’une femme exerçant le pouvoir. Le Moyen Age ne donnait pas aux femmes une situation aussi inférieure qu’on l’a dit parfois. Les femmes peuvent hériter d’une principauté, elles peuvent gouverner. Si elles ne peuvent régner sur la France, elles peuvent exercer la régence, telle Blanche de Castille lorsque saint Louis n’est qu’un enfant.

Anne Dauphine eut un destin inattendu car, à sa naissance, elle était loin de l’héritage forézien : la petite fille qui joue à Vodable au fin fond de l’Auvergne devient vite l’héritière potentielle du comté de Forez. La mort de Louis Ier, la folie de Jean II, les maladresses de Renaud de Forez, les ambitions de sa grand-mère, la terrible Jeanne de Bourbon, font le reste. Mariée au duc de Bourbon, elle mène une vie ballottée entre Paris, Moulins, Souvigny et Montbrison. Elle apprend l’art de gouverner. Elle a le goût du pouvoir et l’exerce finalement dans ce Forez qu’elle a appris à aimer.
Petite-fille de Guy VII, Anne Dauphine avait incarné de son vivant une légitimité forézienne. Mais, à une époque où le symbolisme des funérailles a tant d’importance, le retour d’Anne Dauphine en Bourbonnais affirmait cependant que cette légitimité forézienne était ramenée à Souvigny. Les Foréziens l’ont bien compris ainsi qui, ensuite, sont restés continûment fidèles à la dynastie bourbonnaise. Mais l’ombre d’Anne Dauphine flotte encore à Cleppé où il faut aller pour rêver au destin de la petite fille venue d’Auvergne pour être comtesse de Forez.