CAHIER n°11

Claude Latta

Le Forez entre dans le domaine royal

Introduction
Le 10 mai 1505, la duchesse Suzanne de Bourbon, fille du duc Pierre II de Bourbon et d’Anne de France , héritière de l’état bourbonnais – dont le Forez fait partie depuis 1372 – épouse son cousin Charles, chef de la maison de Bourbon-Montpensier, l’une des branches cadettes des Bourbons. Par ce mariage, il devient ainsi le duc Charles III de Bourbon.
Suzanne est la seule descendante de la branche aînée : des trois frères qui se sont succédé comme ducs de Bourbon, Jean II et Charles II n’ont pas eu d’enfants et Pierre II n’a eu qu’une fille. Son jeune époux, son cousin Charles de Bourbon-Montpensier, le futur Connétable , orphelin de bonne heure, a été élevé à la cour de Moulins par sa cousine et future belle-mère Anne de Beaujeu.
Le Forez était entré dans l’état bourbonnais en 1372, après le mariage d’Anne Dauphine d’Auvergne, héritière du comté de Forez, avec son cousin Louis II, duc de Bourbon et après la mort (1372) du comte de Jean II « l’imbécile » dont Louis II avait été le curateur. Après la mort de Louis II de Bourbon (1410) et celle d’Anne Dauphine (1417), ce fut leur fils, Jean 1er, duc de Bourbon, qui devint aussi comte de Forez (en Forez, on disait « le duc-comte ») et, après lui ses descendants. Le Forez, même s’il avait ses propres institutions, resta pendant plus d’un siècle et demi (1372-1531) incorporé dans l’état bourbonnais, jusqu’à la confiscation des biens du Connétable, Charles III, dernier duc de Bourbon.
Au début du XVIe siècle, l’état bourbonnais est confisqué par le roi de France : comment en est-on arrivé là ? Pourquoi le roi de France n’a-t-il plus supporté l’existence d’un état féodal important au sein de son royaume ? Quelle a été la part des questions personnelles ? Qui s’est senti trahi : le roi de France ou le Connétable de Bourbon ? Quels sont les épisodes de cette brouille qui eut de si grandes conséquences ?

Réflexions pour conclure ou la revanche du Connétable
L’entrée de l’état bourbonnais – et donc du Forez – dans le royaume de France appartient, il est vrai, plus à l’Histoire de France qu’à notre histoire locale, encore qu’il y ait l’entrevue et l’accord de Montbrison. Le roi a confisqué les biens du dernier grand féodal, son cousin Charles de Bourbon-Montpensier. Il l’a « poussé à la faute », comme on dit, par raison d’Etat, ambition, jalousie, soumission à la cupidité de sa mère. Charles de Bourbon n’a pas eu le sentiment de trahir : au contraire, c’est lui qui se sentait trahi par ce suzerain qui ne le protégeait plus, alors qu’il l’avait si bien servi à Marignan où son frère était mort à ses côtés. Ils étaient dans deux logiques différentes, l’une nationale et l’autre féodale.

Le roi fit de Charles de Bourbon un réprouvé. L’heure était à la construction de grands ensembles nationaux, à l’émergence des nations.A l’heure où les nationalismes ont triomphé, au XIXe siècle, les historiens – Michelet et Mignet – ont fait du Connétable un traître à la patrie. Il s’était trompé de siècle et son destin personnel fut tragiquement romanesque.
Mais la monarchie, bien qu’elle ait changé de nature – bientôt « absolue » et centralisée, achevant bientôt l’unité française – restait dans une logique dynastique. Lorsque le dernier des Valois, petit-fils de François 1er, le roi Henri III, meurt sans postérité en 1589, assassiné par un moine ligueur, il a reconnu que son successeur légitime était son cousin Henri de Bourbon, roi de Navarre, arrière-petit-neveu de Louise de Bourbon, sœur du Connétable de Bourbon : il fut le roi Henri IV, l’un de nos plus grands souverains. La couronne de France était passée aux Bourbons. 1589 est, d’une certaine manière, la revanche d’Anne de Beaujeu et du Connétable.